La récolte de 1769 a été mauvaise pour Léonard
Lafond, laboureur à Mazermaud, et son épouse Marie Filhoulaud.
Elle est même catastrophique dans tout le Limousin, à
cause des intempéries, et la disette s'installe pour deux ou trois
ans.
Cependant Léonard Lafond est qualifié par le notaire de
"laboureur", ce qui le classe en principe parmi les plus aisés des
paysans, possesseur d'un attelage de labour, à la différence
des "laboureurs à bras" ou des journaliers. Il est aussi métayer.
Mais en ce début d'hiver lui et sa femme ont épuisé
leurs réserves d'argent et surtout de grains, c'est à dire
de nourriture.
Il leur faut donc emprunter pour survivre, étant, comme ils le disent au notaire dans un danger imminent d'être réduits à mendier leur pain.
Seuls les grands propriétaires ont pu stocker des grains, c'est
à dire l'un des trois ou quatre notables de Linards ou des paroisses
voisines. Léonard et Marie se tournent ainsi vers le Sieur Jean
Piquet, maître de forges au Pont-des-deux-eaux, paroisse de St-Méard,
dont Marie semble originaire.
Jean Piquet est un des plus gros contribuables de la paroisse de Linards,
étant possesseur d'un domaine qu'il donne en métayage au
Pont de Linards, devenu justement le Pont-de-Piquet.
On trouve encore quelques traces des forges exploitées au bord
de la Briance par Jean Piquet près du Pont-des-deux-eaux ; elles
ont été détruites par une crue avant 1789.
Léonard et Marie Lafond vont donc emprunter du grain en nature,
sans doute du seigle, pour une valeur de quatre-vingt livres.
Ces quatre-vingt livres font une somme importante, presque le revenu
annuel d'un journalier ; c'est que le prix du seigle atteint 20 livres
le setier (environ 70 litres) en décembre 1769, au lieu de 7 livres
habituellement. Ils reçoivent donc environ 4 setiers (environ 280
litres). Ils devront rembourser dans un an, sans intérêt cependant,
sur leur prochaine récolte.
Mais dès le 14 mars suivant (1770), le ménage Lafond est
de nouveau à bout de ressources, et Marie doit vendre au Sieur Guillaume
Dumas, bourgeois de St-Méard, une parcelle dont elle avait hérité,
dite Pré de la Croix à Bourdelas de St-Méard, disant
que l'extrême misère où elle est réduite à
cause de la disette générale des grains l'expose à
mourir de faim, elle et sa famille, son mari n'ayant aucun bien et ne pouvant
gagner de son travail de quoi les faire subsister.
Ce type d'endettement est très fréquent dans la société
limousine d'Ancien Régime, et le remboursement se fait souvent par
l'abandon d'une parcelle aux créanciers, qui arrondissent ainsi
leurs domaines.
Transcription de l'obligation du 7 décembre 1769 (ADHV 4 E 43)
Aujourd’hui septième jour du mois de décembre mille sept
cent soixante neuf, au bourg et paroisse de Linars Haut Limousin par devant
les notaires soussignés, furent présents Léonard Lafon
laboureur habitant du village de Mazermaud présente paroisse, et
Marie Filhoulaud son épouse et de lui dûment autorisée
pour la validité des présentes seulement, lesquels de leur
bon gré et volonté solidairement l’un pour l’autre un seul
et le meilleur pour le tout et renonçant à tous bénéfices
de division discussion et ordre et par exprès ladite Filhoulaud
à tous droits de Veilleyen, loi Julie, Senatus-consulte et autres
introduits en faveur de son sexe, se sont reconnus débiteurs envers
sieur Jean Piquet maître de forge habitant du Pont-les-deux-eaux
paroisse de St-Méard ici présent et acceptant, de la somme
de quatre vingt livres que ledit Sr Piquet leur a tout présentement
prêté en grains, pour leur subsistance et de leur famille,
sans lequel prêt ils étaient dans un danger imminent d’être
réduits à mendier leur pain, laquelle somme de quatre vingt
livres lesdits Léonard Lafon et ladite Filhoulaud se sont obligés
icelle payer et bailler solidairement comme dessus et sous les mêmes
renonciations audit Sr Piquet dans un an prochain date des présentes
pour tous termes et délais, sous l’obligation de tous et un chacun
leurs biens et meubles présents et à venir, de tout quoi
au requis des parties nous avons concédé acte et ont lesdites
parties déclaré ne savoir signer de ce interpellées.
Signé PIQUET, X notaire royal, VIDAUD notaire, CHAUSSADE notaire
garde-minute
Transcription de la requête du 14 mars 1770 (ADHV 4 E 43)
Monsieur le juge de la Juridiction Ordinaire du Marquisat de Linards
ou autre officier non suspect.
Supplie humblement Marie Filloulaud, épouse de Léonard
Lafon dit ''Mamissou", journalier et métayer au village de Mazermaud,
paroisse de Linars. Disant que l'extrême misère où
elle est réduite à cause de la disette générale
des grains l'expose à mourir de faim, elle et sa famille, son mari
n'ayant aucun bien et ne pouvant gagner de son travail de quoi les faire
subsister, elle n'a d'autres ressources que quelques petites propriétés
qu'elle ne peut aliéner à cause de la puissance maritale.
Dans une si extrême misère, elle a recours à votre
autorité et justice pour que ce considéré, Monsieur,
il vous plaise et autorise la suppliante pour vendre et aliéner
les héritages qui lui appartiennent ou partie d'iceux et par exprès,
le petit pré de la Croix situé dans les appartenances du
Village de Bourdelas, paroisse de Saint Méard, afin de pouvoir subsister
et faire subsister sa famille et ferez bien.
Signé : Vidaud, notaire et procureur eu requis de la suppliante.
Vu la présente requête, nous avons donné
acte. Signé : Picquet, lieutenant.