L'insurrection du 6 décembre 1851


Samedi 6 Décembre 1851, 16 Heures, dans le bourg de Linards : Une petite foule de 150 hommes armés de fusils et de faux est massée dans la rue principale ; le son du tocsin et les roulements de deux tambours accompagnent le « Ça ira... » et « La Marseillaise », on crie « Vive la République Démocratique et Sociale ».
Soudain une charge de cavalerie disperse le rassemblement, quelques coups de feu sont tirés, vingt-cinq hussards sabre au clair poursuivent les fuyards dans la prairie du champ de foire, puis dans les maisons et jusque dans l’église ; une trentaine de prisonniers sont rassemblés dans la maison d’école, plusieurs sont blessés.

Pendant plusieurs semaines les routes de Linards à Châteauneuf et à St-Bonnet seront parcourues par une cour de justice itinérante : juges, procureur, commissaire, policiers et hussards perquisitionnent, recherchent, arrêtent les insurgés en fuite, les interrogent longuement et les transfèrent dans les prisons de Limoges pour deux ou trois mois.
Une dizaine de condamnés, insurgés ou simplement républicains influents, seront ensuite exilés, en Algérie, à l’étranger, dans des départements éloignés, ou soumis durant plusieurs années à la surveillance de la police.

Cet événement exceptionnel et dramatique, sans équivalent dans la vie de la commune, et aux conséquences prolongées, n’a pu que frapper durablement les esprits. Il n’était pourtant résumé qu’en quelques lignes dans d’anciennes publications, reprises d’un auteur à l’autre.

Les Archives Départementales de la Haute-Vienne possèdent pourtant l’intégralité des procédures judiciaires intentées en 1851, en particulier plus de 200 dépositions détaillées des insurgés, mais aussi des policiers, des soldats et de nombreux témoins.
Ces témoignages exceptionnels, qui se recoupent largement, décrivent heure par heure le déroulement de l’insurrection, mais aussi les motivations et sentiments de chacun, et rapportent souvent les paroles mêmes des acteurs et leurs dialogues.

Voici à titre d'exemple le témoignage du lieutenant Renevey qui commandait les hussards chargés de réprimer l'insurrection :

"Dans la journée du samedi six du courant, je reçus l’ordre de me diriger avec un peloton de hussards sur St-Paul où s’était manifesté, disait-on, un commencement d’insurrection. Je partis de Limoges avec le commissaire central. J’avais sous mes ordres vingt-cinq hussards et plus quatre gendarmes et un brigadier. Arrivés à St-Paul à deux heures et demi de l’après-midi, nous eûmes des nouvelles de l’attroupement. On nous dit qu’il se composait en partant de St-Paul d’une soixantaine d’individus armés en partie, et qu’ils s’étaient dirigés sur St-Bonnet. Les habitants paraissaient très alarmés. Il était déjà tard. Je proposai au commissaire central qui était en voiture et retardait ma marche de prendre les devants sur lui avec mes hommes afin de joindre au plus vite l’attroupement, ce à quoi il donna son adhésion. Au sortir de St-Paul j’aperçus un individu à cheval suivant un chemin de traverse latéral à la route. Il marchait au trot et rejoignis la route en avant de nous. Présumant que c’était un émissaire envoyé pour donner avis de notre approche, je mis à sa poursuite quelques cavaliers qui l’atteignirent et le ramenèrent. C’était le nommé Castenot jeune, qui plus tard me fut signalé par le maire de St-Bonnet comme un homme dangereux. Cet individu prétendait revenir de Limoges où il était allé vendre des planches, et s’en retourner chez lui. A trois heures et demi - quatre heures moins un quart, nous étions à St-Bonnet. Le maire à qui je parlais en passant me dit que la bande s’était dirigée sur Linards, qu’à St-Bonnet on avait sonné le tocsin, qu’on avait tiré des coups de feu contre la porte de l’église, que sa femme avait été menacée, et qu’on l’avait obligée en lui mettant le poignard sous la gorge à servir à boire et à manger aux gens de la bande. Sans m’arrêter je continuai ma route sur Linards, en prenant par le chemin de traverse. Sur ma demande le maire fit monter son domestique à cheval pour nous servir de guide. Arrivés à quatre kilomètres environ de Linards, j’aperçus devant nous une bande de huit individus armés, les uns de fusils les autres de fourches, qui suivaient la route paraissant venir de Linards. Je détachai sur eux quelques hussards qui les arrêtèrent. Ils furent désarmés et je les laissai à la garde de cinq hussards et de deux gendarmes avec ordre de les conduire à Linards. A deux kilomètres plus loin je trouvai une autre bande composée d’une douzaine d’individus  dont quelques uns seulement étaient armés. Quatre ou cinq parmi lesquels ceux qui avaient des armes, furent arrêtés; les autres se dispersèrent. Je remis ces nouveaux prisonniers à la garde de quatre hussards, avec ordre de les réunir à ceux que nous avions laissés derrière nous, et de me rejoindre ensuite au galop, car je craignais d’affaiblir ma troupe. Nous approchions de Linards et nous entendions le bruit du tambour se mêler au son du tocsin. La route forme un angle avec la rue du bourg et ce ne fut qu’en entrant dans le bourg que je pus voir l’attroupement qui en occupait toute la longueur. Il pouvait se composer de cent cinquante individus environ, en grande partie armés les uns de fusils, la plupart de fourches, de lances etc... Aussitôt je donnai l’ordre de charger. En un instant l’attroupement fut dissipé, et ceux qui le composaient prirent la fuite dans toutes les directions. Quelques uns furent renversés par les chevaux, d’autres furent légèrement blessés de coups de sabre. Un grand nombre de fuyards s’étaient jetés dans la prairie de M. Noualhier. Les hussards les y poursuivirent. Là trois ou quatre coups de feu furent tirés sur les hussards par des individus qui se retournaient contre eux dans la poursuite, et quelques insurgés reçurent des coups de sabre. Le hussard Valéry eut la manche gauche de sa veste ainsi que sa chemise percées de grains de plomb. Dix-huit ou vingt insurgés furent arrêtés. Je les réunis et les fis garder dans la maison d’école. Ceci se passait à quatre heures - quatre heures et demi. Une demi heure après arrivait le lieutenant De Beauregard avec un autre peloton de vingt cinq hommes. Nous fimes alors dans les maisons du bourg des perquisitions qui amenèrent l’arrestation de quelques individus, notamment du clerc du Sr Faucher. Pendant la nuit des patrouilles furent faites aux abords du bourg, quelques individus rencontrés par les patrouilles et dont la présence sur les lieux à cette heure de la nuit paraissait suspecte furent arrêtés. Une de ces patrouille aperçut dans un champ voisin du champ de foire des individus qui étaient armés et qui à l’approche de la patrouille prirent la fuite en jetant leurs armes. Deux hussards firent feu de leurs pistolets sur ces individus mais sans les atteindre.
Sur notre interpellation le témoin ajoute: les ordres que j’avais reçus de mes chefs étaient d’accompagner le commissaire central et de rester à sa disposition. En quittant ce fonctionnaire à St-Paul, ainsi que je l’ai expliqué, je lui demandai des instructions. Il me dit que ses instructions étaient que tout rassemblement étaient que tout rassemblement qui serait trouvé armé et dans une attitude hostile fut immédiatement dissipé par la force, et qu’il fallait agir avec vigueur.
J’ai dit que quelques coups de sabre avaient été donnés au moment de la charge sur l’attroupement. J’explique à ce sujet que la charge a été faite par les hussards le pistolet  haut prêt à faire feu et le sabre dans le fourreau. Ce n’est que lorsque l’attroupement a été dispersé que les hussards, remettant le pistolet dans la fonte, se sont armés de leurs sabres et ce n’est qu’à partir de ce moment que des coups de sabre ont pu être portés. Je dois dire en terminant que j’ai reçu de plusieurs habitants, notamment de M. Noualhier, Fougère et Villette tous les renseignements dont je pouvais avoir besoins, et que ces messieurs ont concouru avec nous à l’arrestation de plusieurs insurgés."

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