Pendant plusieurs semaines les routes de Linards à
Châteauneuf et à St-Bonnet seront parcourues par une cour
de justice itinérante : juges, procureur, commissaire, policiers
et hussards perquisitionnent, recherchent, arrêtent les insurgés
en fuite, les interrogent longuement et les transfèrent dans les
prisons de Limoges pour deux ou trois mois.
Une dizaine de condamnés, insurgés ou simplement
républicains influents, seront ensuite exilés, en Algérie,
à l’étranger, dans des départements éloignés,
ou soumis durant plusieurs années à la surveillance de la
police.
Cet événement exceptionnel et dramatique, sans équivalent dans la vie de la commune, et aux conséquences prolongées, n’a pu que frapper durablement les esprits. Il n’était pourtant résumé qu’en quelques lignes dans d’anciennes publications, reprises d’un auteur à l’autre.
Les Archives Départementales de la Haute-Vienne
possèdent pourtant l’intégralité des procédures
judiciaires intentées en 1851, en particulier plus de 200 dépositions
détaillées des insurgés, mais aussi des policiers,
des soldats et de nombreux témoins.
Ces témoignages exceptionnels, qui se recoupent
largement, décrivent heure par heure le déroulement de l’insurrection,
mais aussi les motivations et sentiments de chacun, et rapportent souvent
les paroles mêmes des acteurs et leurs dialogues.
Voici à titre d'exemple le témoignage du lieutenant Renevey qui commandait les hussards chargés de réprimer l'insurrection :
"Dans la journée du samedi six du courant, je reçus
l’ordre de me diriger avec un peloton de hussards sur St-Paul où
s’était manifesté, disait-on, un commencement d’insurrection.
Je partis de Limoges avec le commissaire central. J’avais sous mes ordres
vingt-cinq hussards et plus quatre gendarmes et un brigadier. Arrivés
à St-Paul à deux heures et demi de l’après-midi, nous
eûmes des nouvelles de l’attroupement. On nous dit qu’il se composait
en partant de St-Paul d’une soixantaine d’individus armés en partie,
et qu’ils s’étaient dirigés sur St-Bonnet. Les habitants
paraissaient très alarmés. Il était déjà
tard. Je proposai au commissaire central qui était en voiture et
retardait ma marche de prendre les devants sur lui avec mes hommes afin
de joindre au plus vite l’attroupement, ce à quoi il donna son adhésion.
Au sortir de St-Paul j’aperçus un individu à cheval suivant
un chemin de traverse latéral à la route. Il marchait au
trot et rejoignis la route en avant de nous. Présumant que c’était
un émissaire envoyé pour donner avis de notre approche, je
mis à sa poursuite quelques cavaliers qui l’atteignirent et le ramenèrent.
C’était le nommé Castenot jeune, qui plus tard me fut signalé
par le maire de St-Bonnet comme un homme dangereux. Cet individu prétendait
revenir de Limoges où il était allé vendre des planches,
et s’en retourner chez lui. A trois heures et demi - quatre heures moins
un quart, nous étions à St-Bonnet. Le maire à qui
je parlais en passant me dit que la bande s’était dirigée
sur Linards, qu’à St-Bonnet on avait sonné le tocsin, qu’on
avait tiré des coups de feu contre la porte de l’église,
que sa femme avait été menacée, et qu’on l’avait obligée
en lui mettant le poignard sous la gorge à servir à boire
et à manger aux gens de la bande. Sans m’arrêter je continuai
ma route sur Linards, en prenant par le chemin de traverse. Sur ma demande
le maire fit monter son domestique à cheval pour nous servir de
guide. Arrivés à quatre kilomètres environ de Linards,
j’aperçus devant nous une bande de huit individus armés,
les uns de fusils les autres de fourches, qui suivaient la route paraissant
venir de Linards. Je détachai sur eux quelques hussards qui les
arrêtèrent. Ils furent désarmés et je les laissai
à la garde de cinq hussards et de deux gendarmes avec ordre de les
conduire à Linards. A deux kilomètres plus loin je trouvai
une autre bande composée d’une douzaine d’individus dont quelques
uns seulement étaient armés. Quatre ou cinq parmi lesquels
ceux qui avaient des armes, furent arrêtés; les autres se
dispersèrent. Je remis ces nouveaux prisonniers à la garde
de quatre hussards, avec ordre de les réunir à ceux que nous
avions laissés derrière nous, et de me rejoindre ensuite
au galop, car je craignais d’affaiblir ma troupe. Nous approchions de Linards
et nous entendions le bruit du tambour se mêler au son du tocsin.
La route forme un angle avec la rue du bourg et ce ne fut qu’en entrant
dans le bourg que je pus voir l’attroupement qui en occupait toute la longueur.
Il pouvait se composer de cent cinquante individus environ, en grande partie
armés les uns de fusils, la plupart de fourches, de lances etc...
Aussitôt je donnai l’ordre de charger. En un instant l’attroupement
fut dissipé, et ceux qui le composaient prirent la fuite dans toutes
les directions. Quelques uns furent renversés par les chevaux, d’autres
furent légèrement blessés de coups de sabre. Un grand
nombre de fuyards s’étaient jetés dans la prairie de M. Noualhier.
Les hussards les y poursuivirent. Là trois ou quatre coups de feu
furent tirés sur les hussards par des individus qui se retournaient
contre eux dans la poursuite, et quelques insurgés reçurent
des coups de sabre. Le hussard Valéry eut la manche gauche de sa
veste ainsi que sa chemise percées de grains de plomb. Dix-huit
ou vingt insurgés furent arrêtés. Je les réunis
et les fis garder dans la maison d’école. Ceci se passait à
quatre heures - quatre heures et demi. Une demi heure après arrivait
le lieutenant De Beauregard avec un autre peloton de vingt cinq hommes.
Nous fimes alors dans les maisons du bourg des perquisitions qui amenèrent
l’arrestation de quelques individus, notamment du clerc du Sr Faucher.
Pendant la nuit des patrouilles furent faites aux abords du bourg, quelques
individus rencontrés par les patrouilles et dont la présence
sur les lieux à cette heure de la nuit paraissait suspecte furent
arrêtés. Une de ces patrouille aperçut dans un champ
voisin du champ de foire des individus qui étaient armés
et qui à l’approche de la patrouille prirent la fuite en jetant
leurs armes. Deux hussards firent feu de leurs pistolets sur ces individus
mais sans les atteindre.
Sur notre interpellation le témoin ajoute: les
ordres que j’avais reçus de mes chefs étaient d’accompagner
le commissaire central et de rester à sa disposition. En quittant
ce fonctionnaire à St-Paul, ainsi que je l’ai expliqué, je
lui demandai des instructions. Il me dit que ses instructions étaient
que tout rassemblement étaient que tout rassemblement qui serait
trouvé armé et dans une attitude hostile fut immédiatement
dissipé par la force, et qu’il fallait agir avec vigueur.
J’ai dit que quelques coups de sabre avaient été
donnés au moment de la charge sur l’attroupement. J’explique à
ce sujet que la charge a été faite par les hussards le pistolet
haut prêt à faire feu et le sabre dans le fourreau. Ce n’est
que lorsque l’attroupement a été dispersé que les
hussards, remettant le pistolet dans la fonte, se sont armés de
leurs sabres et ce n’est qu’à partir de ce moment que des coups
de sabre ont pu être portés. Je dois dire en terminant que
j’ai reçu de plusieurs habitants, notamment de M. Noualhier, Fougère
et Villette tous les renseignements dont je pouvais avoir besoins, et que
ces messieurs ont concouru avec nous à l’arrestation de plusieurs
insurgés."