Mais qui étaient donc, dans un bourg comme Linards,
en 1789, les « privilégiés » ?
Y avait-il des nobles, des ecclésiastiques, percevaient-ils
des « droits féodaux »?
Plus généralement, que représentaient,
dans la vie quotidienne des habitants de Linards, presque tous paysans,
ces privilèges et ces droits, étaient ils écrasants
ou symboliques, leur suppression fut-elle immédiatement ressentie
comme une amélioration de la vie quotidienne de la majorité
de la population ?
Un document exceptionnel conservé aux Archives Départementales de la Haute-Vienne (pour la plupart des communes du département), permet de répondre assez précisément à ces questions, et plus généralement de dresser un tableau des structures sociales de la paroisse dans les dernières années de l’Ancien Régime.
Il s’agit des rôles des tailles , c’est à
dire des registres d’impôt direct des années 1786 à
1789. A Linards il s’agit précisément des années 1786,
1787 et 1789.
Mais en ce qui concerne l’année 1789, existent
deux rôles : celui réalisé avant la nuit du 4 Août
et qui tient compte des privilèges fiscaux, et un deuxième
rôle réalisé en fin d’année en conséquence
de l’abolition.
Le principal des privilèges détenus notamment
par les nobles et ecclésiastiques, mais aussi par de nombreuses
autres catégories (en particulier les habitants des principales
villes), était en effet de ne pas payer l’impôt direct, la
taille .
C’est ainsi que taillable était synonyme de roturier,
et finalement de paysan.
La renonciation des privilégiés à
leurs avantages durant la nuit du 4 Août, est double: elle équivaut
d’une part à accepter de payer désormais l’impôt, et
d’autre part à ne plus percevoir leurs redevances seigneuriales.
Dès le 27 septembre 1789 une déclaration royale prévoit donc de faire établir un rôle de taille supplémentaire pour 1789, fixant l’impôt dû par les ci-devant privilégiés au titre du deuxième semestre de cette année (soit à compter du 1er juillet et non pas seulement à compter du 4 Août).
Ce rôle présente pour nous un triple intérêt
:
- il permet de savoir quel était le montant
de l’impôt auquel échappait jusque là les privilégiés,
et qui retombait donc sur les taillables ,
- il indique le revenu annuel des privilégiés
provenant de la paroisse de Linards,
- et enfin il détaille, parmi les revenus
des privilégiés, les droits féodaux qu’ils percevaient
dans la paroisse de Linards.
Un autre document remarquable conservé aux ADHV concerne la dîme ecclésiastique : le curé de Linards a noté de 1761 à 1775 le détail des opérations de recouvrement de ce prélèvement.
Nous essaierons ainsi d’établir le poids réel des privilèges sur les taillables de Linards, et en conséquence le soulagement qui aurait du être ressenti à partir de 1790 ; nous verrons que les choses ne furent pas vécues aussi simplement.
Plus généralement nous tenterons d’établir, en fonction du montant de leur impôt, les revenus des différentes catégories de la population et de reconstituer une image de la structure sociale de la paroisse de Linards en 1789.
Mais avant d’en venir là, quelques explications sont nécessaires, quant au calcul et au mode de perception de l’impôt sous l’Ancien Régime. Elles peuvent paraître assez techniques, mais on pourra être surpris à la fois de différences et de ressemblances inattendues avec notre moderne impôt sur le revenu.