Le dossier d’instruction
En juin 1869 l’huissier Léobon est chargé par Jean Delombre de remettre une citation à Léonard Bourissou, à Manzeix (Linards) ; l’épouse de ce dernier révèle à l’huissier que sa servante Jeanne Fanchette, âgée de quinze ans, a été violée pas Delombre le mois précédent. L’huissier en informe le juge d’instruction qui ouvre une enquête.
Léobon Guillaume - 7 juillet 1868
Léobon Guillaume Ambroise, âgé de cinquante trois ans, huissier, demeurant à Châteauneu … dépose :
Dans le courant du mois de juin dernier, sans que je puisse tout à l’heure préciser la date, Delombre m’ayant appelé pour donner, à sa requête, une citation au possessoire à Bourissou, me raconta que les époux Bourissou l’accusaient d’avoir voulu abuser de leur servante. Je n’attachai pas d’importance à ce propos ; mais lorsque je portai ma citation chez Bourissou, je demandai à la femme de celui-ci (se reprenant ): la femme de celui-ci , sans que je le lui demande, me raconta que ses deux enfants, traversant un bois vers le milieu du mois de mai, avaient entendu des cris, qu’ils s’étaient approchés et qu’ils avaient vu Delombre couché sur leur servante qui pleurait et se débattait, et que même, en revenant, le fils qui n’a que onze ans, avait raconté à son père que leur servante n’était plus pucelle (terme textuel dont se servait la mère et qui me paraissait assez étrange dans la bouche d’un enfant).
La servante, étant entrée quelques moments après, je lui demandai si ce que l’on diait était vrai; elle finit par me dire que oui, mais le sujet était si difficile à traiter avec un enfant que je n’entrai pas dans de grands détails.
Je dois avouer que, connaissant Delombre sous de très bons auspices, je n’attachai pas à cette affaire une très grande importance; cependant M. le juge de paix m’en ayant parlé, je lui racontai le peu que je savais, et quelques jours après il fit faire une enquête par la gendarmerie.
D. Les Bourissou sont-ils des gens honnêtes et les croyez-vous capables d’avoir organisé cette affaire pour faire du chantage?
R. Les Bourissou passent dans le pays pour de très braves gens. Ce sont des gens riches, j’estime leur fortune à plus de quatre vingt mille francs et je les crois incapables d’avoir organisé une affaire pareille pour nuire à un voisin.
D. Connaissez-vous la fille Fiancette et pourriez-vous nous donner des renseignements sur sa moralité?
R. Je ne la connais pas et je ne puis donner aucun renseignement sur sa moralité.
Lecture faite … a signé LEOBON
Le treize mai 1869, Léonard Ligonat accompagnait son voisin Léonard Bourissou à la récolte des feuilles près de leur village ; les enfants de ce dernier, explorant le bois voisin, reviennent en courant vers les deux adultes, disant avoir vu Jean Delombre violenter la servante des Bourissou.
Ligonat Léonard – 12 juillet 1869
Ligonat Léonard, âgé de trente sept ans, cultivateur, demeurant à Manzeix, commune de Linards … dépose :
Le treize du mois de mai j’étais allé ramasser de la feuille avec Bourissou et ses deux petits enfants ; comme nous revenions de ramasser cette feuille, les deux enfants prirent les devants. Au bout d’un moment nous les vîmes revenir, et alors l’aîné raconta à son père qu’il venait de trouver Delombre avec leur servante Jeanne Fiancette. Leur père leur dit de se taire, qu’il ne fallait pas dire une chose qui n’était pas vraie ; les enfants protestèrent et dirent, l’un et l’autre, que c’était bien vrai. Je n’entendis pas autre chose parce que j’allai presque immédiatement à mon travail.
D. Lorsque les enfants ont trouvé Delombre avec Jeanne Fiancette, étiez-vous bien éloigné d’eux, e auriez-vous pu entendre celle-ci si elle avait crié ?
R. Je ne le crois pas, nous étions, au moment où les enfants dirent avoir rencontré Delombre et Jeanne Fiancette, à deux ou trois cent mètres environ de l’endroit où ils nous ont dit les avoir trouvés et, soit à cause des accidents de terrain, soit à cause de l’éloignement, soit à cause aussi du bruit de nos deux charrettes, il me paraît difficile que nous eussions pu entendre les cris poussés par cette jeune fille.
D. Est-ce que vous n’avez pas entendu les enfants donner de plus grands détails sur cette affaire ?
R. Les enfants peuvent en avoir dit plus long à leur père, mais comme il était devant sa charrette et moi devant la mienne, je n’ai pas entendu.
D. Est-ce que vous n’avez pas entendu à la maison donner de plus grands détails ?
R. Non.
Lecture faite … ne sait signer
Léonard Bourissou père fait préciser à ses deux garçons ce qu’ils ont vu.
Bourissou Léonard – 28 juin 1869
Bourissou Léonard, âgé de quarante ans, propriétaire cultivateur demeurant au lieu de Manzeix, commune de Linards … dépose :
Le treize du mois de mai, vers dix heures du matin, je ramenais à la maison une charretée de feuilles, lorsqu’en passant près du bois du clos du Puy, je vis venir à moi mes deux petits garçons qui étaient entrés dans le bois et qui me dirent en m’abordant que ma servante, Jenny Fanchette, n’était plus pucelle. Je leur demandai ce qu’ils voulaient dire, ils m’expliquèrent qu’ils avaient vu Delombre couché sur elle ; ils me racontèrent alors sur mes questions réitérées qu’étant dans le bois, ils avaient entendu des cris, qu’ils s’étaient approchés pour voir ce que c’était et qu’ils avaient aperçu Delombre dans le bois couché sur ma servante qui criait et lui donnait des coups de poing, qu’à leur vue il s’était relevé, qu’ils paraissait avoir très chaud et que notre servante avait les cheveux en désordre et pleurait.
Lorsque Jenny Fanchette rentra, elle pleurait, ma femme l’interrogea sur ce qui c’était passé, elle lui raconta que Delombre l’avait emportée avec violence dans le bois pour abuser d’elle.
D. Pourquoi n’avez-vous pas prévenu la justice de l’attentat commis sur une enfant confiée à votre garde ?
R. Mon père prévint le père de Jenny Fanchette qui nous dit de ne rien dire.
D. La fille Jenny Fanchette se conduit-elle bien chez vous ou vous paraît-elle avoir de mauvaises habitudes ?
R. C’est une brave fille qui a eu un profond chagrin de l’attentat dont elle a été victime.
Lecture faite … a requis taxe à lui faite de 6,50 fr … ne sait signer
Les témoignages des deux enfants concordent, ils ont vu Delombre couché sur " Jenny ", et se sont enfuis aussitôt, en même temps que la servante.
Bourissou Guillaume – 28 juin 1869
Bourissou Guillaume, âgé de douze ans et sept mois, demeurant à Manzeix, commune de Linards, chez son père, ledit Guillaume Bourissou, écolier … n’a pas prêté serment à cause de son jeune âge, entendu seulement à titre de renseignement.
Dépose :
Dans le mois de mai, un jeudi, le treize je crois, mais certainement un jeudi parce que je n’étais pas en classe, j’étais allé aider à mon père à ramasser des feuilles. En revenant, nous passions près du bois qu’on appelle le Clos du Puy ; pour nous raccourcir, mon frère et moi nous passâmes par le bois. J’entendis crier près du pâturage où notre servante gardait les agneaux. A ce moment je vis une pie, je crus que l’on criait parce qu’on avait trouvé un nid. Je m’avançai et j’aperçus dans le bois notre servante par terre et Delombre dessus ; c’était elle qui criait et se défendait de ses étreintes en lui donnant des coups de poing. A peine les avais-je aperçus que je crus entendre dans le lointain mon père qui m’appelait, je répondis en poussant moi-même un cri. Delombre m’ayant entendu lâcha la Jenny et se mit à genoux à côté d’elle. celle-ci se leva aussitôt, la chevelure en désordre et couverte de feuilles, elle pleurait. Delombre m’appela à trois reprises, disant qu’il voulait me parler, mais je ne voulus pas m’approcher de lui et je courus rejoindre mon père à qui je racontai ce que j’avais vu.
Lecture faite … a requis taxe de six francs cinquante centimes, et a signé BOURISSOU GUILLAUME
Bourissou Léonard jeune 28 juin 1869
Bourissou Léonard, âgé de dix ans, écolier, demeurant chez son père à Manzeix, commune de Linards … dépose :
Un jeudi du mois de mai dernier, le treize je crois, je venais vers les dix heures du matin de ramasser des feuilles avec mon père et mon frère. Pendant que mon père ramenait la charrette à la maison, mon frère et moi nous entrâmes dans le bois appelé le clos du Puy pour chercher des nids. A peine y étions-nous que nous entendîmes des plaintes, nous nous avançâmes pour voir ce que c’était et nous aperçûmes Delombre couché sur notre servante qui pleurait. Mon frère ayant, sans ce moment, poussé un cri pour répondre à l’appel de mon père qui l’appelait de loin, Delombre se souleva, se mit à genoux en nous tournant le dos. La Jenny se leva en pleurant, elle avait les cheveux tout en désordre ; Delombre avait la figure couverte de sueur, son chapeau était par terre. Il nous appela mon frère et moi, mais nous nous sauvâmes, nous avions peur qu’il nous battit ; nous allâmes rejoindre notre père à qui nous racontâmes ce qui s’était passé. La Jenny arriva à la maison peu de temps après nous, elle pleurait encore.
Lecture faite … ne sait signer
Jeanne Fanchette regagne la maison de ses patrons et raconte l’événement à l’épouse de Bourissou ; celle-ci, dans un premier temps au moins, l’accuse de mensonge et la maltraite avant de s’inquiéter de son état dépressif.
Sautour Anne ép. Bourissou – 28 juin 1869
Sautour Anne, âgée de trente ans, épouse de Léonard Bourissou, propriétaire cultivateur, demeurant avec lui au Manzeix, commune de Linards … dépose :
Le treize du mois de mai dernier, ma servante Jeanne Fanchette rentra vers les dix heures du matin, en pleurant. Mes enfants, qui étaient rentrés quelques minutes avant elle, m’avaient dit qu’ils avaient vu dans un bois Delombre couché sur elle. Je lui demandai pourquoi elle pleurait, elle me répondit que Delombre avait abusé d’elle. Ne sachant pas au juste ce qui s’était passé, je la grondai, elle pleura beaucoup, et comme je l’avais grondée, ne voulut me raconter que peu de détails sur ce qui s’était passé. Pendant plusieurs jours elle parut profondément affligée de ce qui s’était passé. Pendant quatre jours de suite elle rapporta même des champs son déjeuner sans l’avoir mangé. Lorsque je lui demandais ce qu’elle avait, elle répondait que je le savais bien, et ne voulait pas recevoir de consolation. Elle paraissait marcher avec peine.
D. Avez-vous remarqué si la chemise que portait ce jour-là Jenny Fanchette était tachée de sang ?
R. Non, je faisais la lessive le jour où Delombre abusa de ma servante, elle mit elle-même sa chemise à la lessive et je ne vis pas si elle avait du sang.
D. La fille Fanchette est-elle une honnête fille et croyez-vous qu’elle ait pu avoir des rapports avec des hommes avant ou après le treize mai dernier ?
R. Jeanne Fanchette est une très honnête fille très réservée dans sa conduite et que je crois incapable de mal se conduire. Elle couche ainsi que mes deux petits enfants dans une chambre à côté de ma cuisine, et dans cette chambre couche mon vieux beau-père âgé de plus de soixante ans.
D. Pourquoi n’avez-vous pas porté plainte à la justice aussitôt que vous avez eu connaissance de l’attentat commis sur une jeune fille placée sous votre surveillance et sur laquelle vous deviez veiller en qualité de maîtresse comme sur votre propre enfant ?
R. J’en parlai presque aussitôt que le fait fut arrivé à M. Léobon, huissier ; je crus que cela suffisait.
Lecture faite … ne sait signer
Le récit de la victime est celui d’un viol brutal.
Fanchette Jeanne – 28 juin 1869
Fanchette Jeanne, âgée de quinze ans, servante chez le sieur Léonard Bourissou, propriétaire, demeurant au lieu de Manzeix, commune de Linards … dépose :
Un jour du mois de mai dernier, un jeudi, le treize je crois, je gardais les agneaux de mon maître dans un pâturage entouré de bois. Vers les dix heures du matin le sieur Delombre qui faisait de l’écorce dans un des bois voisins du pâturage, vint à moi et me demanda si je voulais bientôt rentrer à la maison. Sur ma réponse négative, il me prit par les deux poignets pour m’entraîner dans le bois. Comme je résistais, il me prit dans ses bras et m’emporta. Lorsque nous fûmes à quelques pas il me coucha par terre, se précipita sur moi et m’ayant levé les jupons, il sortit de son pantalon son membre viril et malgré mes cris me l’introduisit brutalement dans le corps. A peine l’eut-il fait que les enfants de mon maître qui, sans que je le susse, cherchaient des nids dans les environs, arrivèrent à mes cris ; à leur vue Delombre se leva, il les appela probablement pour les engager à dire qu’ils n’avaient rien vu, mais ils ne l’écoutèrent pas et s’en allèrent. Je les suivis et je ne sais pas ce que devint Delombre.
Je marchais avec peine. Delombre m’avait fait mal en m’introduisant son membre viril dans les parties sexuelles, mes cuisses étaient mouillées, mais je crois qu’elles n’étaient mouillées que de sang, parce que mes parties sexuelles saignaient. Je souffris ainsi pendant trois ou quatre jours.
D. Le sieur Delombre avait-il d’autres fois essayé de vous attirer dans des lieux écartés, avait-il essayé de vous faire des caresses ?
R. Non, et depuis le jour où il a abusé de moi, s’il s’était approché je me serais sauvée parce qu’il me faisait peur.
Lecture faite … ne sait signer
L’examen médical confirme une défloration à la date indiquée par la victime et les témoins.
Rapport médical – 28 juin 1869
Sur le requis de M. le juge d’instruction près le tribunal de Limoges,
Serment préalablement prêté d’agir en honneur et conscience,
Je soussigné docteur en médecine, certifie avoir procédé à l’examen interne et externe des organes génitaux de la fille Fanchette, à l’effet de rechercher si ces organes offrent des traces de violences exercées sur eux, et ayant amené la défloration.
Y procédant, du consentement de cette fille, avoir constaté ce qui suit :
La fille Fanchette Jeanne est âgée de 15 ans, elle est petite, assez forte, intelligente.
Elle nous explique que le 15 mai dernier, elle aurait été violentée par un homme, lequel aurait pu abuser d’elle complètement.
L’acte aurait été suivi d’écoulement de sang et de douleurs ayant gêné la marche pendant quelques jours.
Les organes génitaux sont bien développés, fournis en poils au pubis et sur les grandes lèvres.
A l’extérieur, la … est normale, les grandes lèvres se touchent dans toute leur longueur, il n’existe ni tuméfaction, ni coloration anormale, ni trace de violences récentes ou anciennes.
Il en est de même des petites lèvres, de la fourchette, le clitoris et l’orifice de l’urètre ne présentent aucune saillie ni coloration anormale.
La cavité vulvaire n’est le siège d’aucune sécrétion morbide, elle nous paraît assez ample, apparaît facilement [extensible], sans rougeur ni traces …
Tous ces organes sont mous, flasques, bien développés et ont leurs rapports habituels.
La membrane hymen existe sous forme d’un repli circulaire avec ouverture centrale, elle est molle, flasque, facile à déprimer, de coloration normale.
Le contour de l’orifice central est un peu épais, inégal, avec dépressions légères et petites saillies surtout vers la partie inférieure. En … il n’est pas lisse, mince et égal comme il se trouve chez les filles vierges.
Le doigt indicateur peut très facilement et sans résistance dans cet orifice et parvient également sans résistace jusqu’au fond du vagin.
La hauteur de l’hymen, du bord libre au bord adhérent, nous paraît sensiblement plus faible au’elle ne le serait en l’absence de dilatation de l’orifice.
Le conduit vaginal est ample et facilement dilatable.
Doigts et … ne déterminent aucune douleur.
Il n’existe aucune trace de lésion récente ou ancienne qur les cuisses, l’abdomen etc.
Des faits ci-dessus exposés, il résulte que :
La fille Fanchette nous paraît avoir été déflorée.
Que cette défloration doit remonter à une époque déjà ancienne.
Que la conformation et l’âge de cette fille permettaient une défloration, sans graves désordres.
Qu’il n’existe actuellement d’autres indices de cette défloration que l’état de la membrane hymen, les inégalités du périmètre de l’orifice central, le peu de hauteur de la membrane, la facilité de l’introduction du doigt sans résistance ou constriction de cette membrane.
Le père de la victime, informé tardivement de l’événement, avait décidé de le tenir secret et demande aux employeurs de sa fille et seuls témoins de ne rien en dire.
Fiancette Jean – 7 juillet 1869
Fiancette Jean, âgé de quarante trois ans, mérindier, demeurant à la Jarousse, commune de Glanges, …
D. Bourissou nous a dit que s’il n’a pas porté plainte à la justice après l’attentat dont votre fille a été victime, c’est parce que vous ne l’avez pas voulu ; est-ce vrai ?
R. Je suis mérindier de ma profession et voilà quatorze ou quinze ans que je travaille pour Bourissou père. Lorsque l’événement arriva je travaillais dans la Corrèze à quatre ou cinq lieues de mon domicile. Je reçus de Bourissou une lettre qui me disait de me rendre chez lui, qu’il avait à me parler. Comme je recevais souvent de lui de pareilles lettres et que je ne me rendais que lorsque l’ouvrage le permettait, l’ouvrage pressant dans ce moment-là, je ne me dérangeai pas, remettant mon voyage au dimanche. Mais Bourissou, voyant que je ne me rendais pas, vint lui-même me faire part de l’odieux attentat dont ma fille avait été victime et me demanda ce que je voulais faire. J’étais fort embarrassé, je me rendis chez moi quelques jours après pour en parler à ma femme ; je trouvai celle-ci au lit bien malade, je lui racontai ce qui s’était passé, mais nous attendîmes, pour prendre une détermination, qu’elle fut mieux.
Du temps s’était passé, nous avions réfléchi, ma femme m’avait fait observer que la publicité d’une pareille affaire est toujours fâcheuse pour une jeune fille, surtout comme pour fortune, comme la nôtre, elle n’a que son travail et sa bonne conduite. Nous pensâmes qu’il était prudent dans l’intérêt de notre enfant de laisser tomber une affaire de cette nature. J’allai en conséquence trouver les Bourissou, l’année de loyer de notre fille était sur le point de finir, et comme elle est très bien dans cette maison, je la relouais pour un an et nous ne parlâmes de rien.
Ca doit être le huit juin que je suis ainsi allé chez Bourissou et que je leur ai reloué ma fille.
Ma fille était chez Bourissou depuis la St-Jean 1868, l’année d’avant elle était servante chez un nommé Sautour, au pont de Piquet commune de Linards.
Lecture faite … ne sait signer.
La patronne de Jeanne Fanchette, prise de remords, a cependant trahi le secret auprès de l’huissier Léobon ; les gendarmes concluent leur enquête sur la culpabilité de Jean Delombre.
Rapport de gendarmerie – 21 juin 1869
Desclaud Louis, brigadier, et Fontanaud Léonard, gendarme à cheval à la résidence de Châteauneuf …
Rapportons qu’ayant été informés par la clameur publique qu’un attentat à la pudeur, consommé avec violence, sur la nommée Jeann Fanchette, âgée de 15 ans, servante chez le nommé Bourissoux Guillaume, propriétaire au village de Manzeix, commune de Linards, avait eu lieu dans le courant du mois dernier, et que l’auteur de cet acte criminel était le nommé Delombre Jean, âgé de 37 ans, propriétaire au même village.
Nous nous sommes en conséquence rendus audit village de Manzeix et la fille Fanchette nous a dit et déclaré que le quinze mai dernier, vers les dix heures du matin, elle gardait les agneaux dans un bois taillis appelé le Reclos du Puy, elle était assise près d’un fossé et tressait de la paille pour des chapeaux, lorsqu’arriva le nommé Delombre plus haut cité, rentrant d’écorcer de jeunes chênes dans une partie du bois lui appartenant, qui l’accosta en lui disant " Vous ne venez pas encore ? " Elle lui répondit " pas tout à fait si tôt. " Il s’approcha alors plus près d’elle, il la saisit par les deux poignets, et de vive force l’amena à environ dix mètres plus loin dans le bois, il l’étreignit par la taille, la renversa sur le sol, se jeta sur elle, il la troussa, et ensuite il sortit de sa culotte son membre viril, le plaça aux parties sexuelles et le lui introduisit avec violence et brutalité dans le corps. Elle voulut crier, mais elle n’en eut pas la force tellement elle était fatiguée par les étreintes de Delombre, elle ne put faire autre chose que pleurer. Au moment u’il finissait d’assouvir sa criminelle passion, arrivèrent les nommés Bourissoux Guillaume, âgé de 12 ans, et Bourissoux Léonard, frère du précédent, lesquels revenant de classe de Linards, passèrent dans le bois pour chercher des nids, et par le fait du hasard trouvèrent Delombre encore sur cette malheureuse fille qui pleurait et se lamentait ; à leur aspect, Delombre la laissa, et comme il se dirigeait vers eux en leur disant de ne rien dire, ils prirent la fuite et rentrèrent chez eux, et racontèrent à leur père et à leur mère l’acte odieux qui venait de s’accomplir en leur présence, en ajoutant que leur servante n’était plus pucelle, que Delombre venait de lui prendre son pucelage. Les époux Bourissoux nous ont déclaré que s’ils n’avaient pas porté ces faits à la connaissance de la justice, c’était parce qu’ils redoutaient Delombre qui leur avait fait à différentes reprises des menaces.
La fille Fanchette nous a de plus déclaré qu’elle avait éprouvé pendant trois jours de violentes souffrances et qu’elle marchait avec peine ; la femme Bourissoux nous a aussi fait la même déclaration.
En foi de quoi nous avons dressé le présent procès verbal …
L’accusé nie formellement devant le juge d’instruction.
Interrogatoire de Jean Delombre – 28 juin 1869 par le juge d’instruction
Delombre Jean, âgé de trente sept ans, propriétaire cultivateur, né à Sussac, demeurant à Manzeix, commune de Linards, époux d’Anne Demaison.
D. Vous êtes inculpé d’avoir, le treize mai dernier au matin, commis un viol sur la personne de Jeanne Fanchette, enfant de quinze ans, au service des époux Bourissoux ?
R. Je ne me suis livré à aucun acte coupable sur la personne dont vous parlez. Le treize au matin je faisais de l’écorce dans mon bois ; Jeanne Fanchette, qui gardait ses agneaux à côté, les laissait monter dans ma garenne, je la grondai et lui dis de veiller à ce que cela n’arrive pas une autre fois, parce que les agneaux me faisaient du dégât en broutant des chênes qui naissaient. Peu de temps après elle m’appela pour lui aider à prendre un nid qu’elle avait trouvé, disait-elle, dans un arbre. Je m’y refusai, parce que je n’avais pas le temps. Lorsqu’elle fut partie, je m’en allai en emportant un fagot de bois.
Je suis mal avec Bourissou qui est jaloux de moi parce que j’ai acheté un morceau de terrain qu’il convoitait. Toute cette affaire n’est qu’une machination organisée par lui pour me perdre ; mon fils, âgé de neuf ans, faisait de l’écorce avec moi le treize mai, il pourra bien dire si j’ai abandonné mon chantier pour aller avec la fille dont s’agit.
En ce moment, ayant fait introduire le témoin Jeanne Fanchette en présence de l’inculpé, nous lui avons donné lecture de l’interrogatoire de Delombre. Elle a énergiquement maintenu, malgré les dénégations de celui-ci, la déposition qu’elle nous avait faite quelques moments auparavant.
Nous adressant alors à l’inculpé, nous lui avons demandé s’il persistait à nier qu’il eut commis sur la personne du témoin les actes coupables qu’on lui reproche. Il nous a répondu :
R. Cette fille ne dit pas la vérité, elle s’entend avec son maître pour me perdre ; je suis en procès avec celui-ci et, à cause de cela, il a concerté toute cette affaire pour se venger de moi. La déposition de cette fille, comme celle des deux enfants de Bourissou, sont des dépositions concertées d’avance, et ces trois enfants ne font que répéter une leçon qu’on leur a apprise. D’ailleurs le treize mai mon enfant âgé de neuf ans, qui était avec moi, ne m’a pas quitté, et je n’ai pas en sa présence, on le comprend, accompli l’acte odieux qu’on me reproche.
A ce moment Jeanne Fanchette, prenant la parole : " L’enfant de Bourissou n’était pas avec lui ce jour-là ; en partant je l’avais vu dans le village, s’amusant avec ses deux frères dans le coudert de Delombre. Delombre dit que je l’ai appelé pour cueillir des nids, ce n’est pas vrai, est-ce que j’aurais osé lui faire une pareille proposition ?
A ce moment nous avons clos la confrontation et, après avoir donné lecture … ne savent signer
Une trentaine de notables de la commune, dont le notaire et quatre membres du conseil municipal (mais pas le maire) se portent garants de la moralité de l’accusé.
Pétition des notables – 25 juillet 1869
Nous soussignés, propriétaires et habitants de la commune de Linards, canton de Châteauneuf-la-Forêt (Haute-Vienne), certifions que le sieur Jean Delombre, domicilié au village de Manzeix, commune de Linards, a toujours mérité, par sa bonne conduite, l’estime et l’affection du public, et ainsi que toute sa famille, et que même jamais nous n’avons entendu faire la moindre plaisanterie sur son compte relativement aux mœurs.
En foi de quoi nous avons délivré le présent certificat, pour servir et valoir ce que de droit.
Linards, le 25 juillet 1869
LEDOT Notaire – SAUTOUR membre du conseil municipal – ROUX – DEBORD – JABET – VILLETTE – CASTENOT – JACQUET – DENARDOU – LACHAIZE – CHABRELY – ALPHONSOUT – ARNAUD – BRANLAND membre du conseil municipal – THUILLERAS – QUINTANE – DURIS - BARNAGAUD membre du conseil municipal – CHAUSSADE membre du conseil municipal – DURIS – N. – MONTAGNER – SAUTOUR – CIBOT – GARAT – DEGEORGES – REILHAC – LAGRANGE – THOUMIEUX – DUROUDIER – ARNAUD – THUILLERAS – CHABRY – CASTENOT – RIVET – DUROUDIER adjoint au maire de St-Méard
Le procureur renvoie cependant Jean Delombre devant les assises sur inculpation de viol.
Acte d’accusation – 26 juillet 1869
Contre Jean Delombre, âgé de 38 ans, propriétaire cultivateur demeurant à Manzeix, commune de Linards, prévenu de viol.
Le 13 mai 1869, Jeanne Fiancette, bergère au service des époux Bourissou, gardait ses brebis sur le territoire de la commune Linards, dans un pâturage entouré de bois taillis. Jean Delombre, qui recueillait de l’écorce d’arbres dans un de ces bois, aperçut la jeune fille, et la convoitise alluma dans son esprit le désir les plus coupables. Il s’approcha d’elle sous prétexte de lui demander si elle voulait bientôt rentrer chez elle. Sur sa réponse négative, et sans autre transition, il la saisit par les deux poignets pour l’entraîner dans le fourré ; comme elle résistait, il l’emporta dans ses bras, et dès qu’il fut dans le bois, il la coucha par terre, lui releva ses jupons, déboutonna son pantalon, et se précipitant sur elle, lui introduisait brutalement son membre viril dans les parties sexuelles malgré ses cris désespérés, malgré sa résistance énergique.
Delombre avait espéré que l’épaisseur du taillis d’aurait protégé contre tout regard indiscret ; mais par l’effet du hasard les deux frères Bourissou, âgés de 12 et 10 ans, cherchaient des nids d’oiseaux. Attirés par les cris qu’ils entendaient, ces enfants accoururent et furent témoins de l’acte odieux qui venait de se commettre. L’agresseur était encore couché sur sa victime qui pleurait, criait de toutes ses forces et se défendait à coups de poing. Delombre ayant entendu autour de lui des vois humaines, lâcha prise et se mit à genoux près de la jeune fille ; son visage était baigné de sueur. Aussitôt dégagée, celle-ci se releva brusquement et prit la fuite, tout effarée, la chevelure en désordre, couverte de feuilles et pleurant à chaudes larmes. Le prévenu avait vu les deux enfants dont le témoignage devait l’accabler. Inquiet, il les appela, disant qu’il avait besoin de leur parler ; mais ceux-ci, craignant d’être battus par lui, avaient déjà répondu à l’appel de leur père qui ramenait à la maison une charretée de feuilles, et rentré chez eux, ils s’empressèrent de raconter tous les détails de la scène odieuse qui s’était déroulée sous leurs yeux.
En ce moment, Jeanne Fiancette rentrait elle aussi à la maison ; elle pleurait encore et son trouble extrême frappa l’attention de la femme Bourissou, à laquelle elle fit aveu de son malheur. Pendant plusieurs jours elle parut profondément affligée, ne touchant presque pas à la nourriture qui lui était offerte, n’écoutant même pas les consolations de ses maîtres.
Le rapport du médecin, quoique la visite n’ait pu être faite que dans le mois suivant, confirme les faits de la cause et constate la défloration de la jeune fille.
Le crime commis par Delombre se trouve établi par tous les faits de la cause et démontré jusqu’à l’évidence par les témoignages les plus accablants auxquels il ne peut opposer que des dénégations effrontées. Il prétend que la famille Bourissou l’a dénoncé par vengeance ; mais cette absurde fable se trouve réduite à néant par la concordance parfaite de tous les autres éléments de l’information.
En conséquence Jean Delombre est accusé d’avoir, le 13 mai 1869, sur le territoire de la commune de Linards, commis le crime de viol sur la personne de Jeanne Fiancette, crime prévu et puni par l’article 332 du code pénal.
Fait au Parquet de la cour impériale de Limoges le 26 juillet 1869.
Le procureur général
Le treize août 1869 Jean Delombre, bénéficiant de circonstances atténuantes, est condamné à deux ans de prison.