Infanticide de Marguerite Mousset – 1° février 1880

Le 1° février 1880, le fossoyeur de Linards Jean Montagnier découvre le cadavre d’un nouveau-né à demi enterré dans le cimetière. Il prévient le maire de la commune.

Montagnier Jean – 3 février 1880

Montagnier Jean, âgé de 59 ans, journalier et fossoyeur, demeurant à Linards … dépose :

Dimanche dernier, j’étais allé au cimetière de Linards y creuser une fosse. Je remarquai qu’on avait comme gratté et remué la terre du petit exhaussement (tumulus) que, selon l’habitude, j’avais pratiqué sur la tombe de la femme Lafarge, enterrée le jeudi précédent. Avec une pelle, j’égalisai la surface de la terre, lorsque tout à coup, en faisant ce travail, je mis à jour une jambe, puis l’autre jambe et enfin tout le corps d’un enfant nouveau-né, du sexe féminin. Il était complètement nu. C’est à peine s’il était recouvert de trois centimètres de terre.

Restant auprès du petit cadavre, j’envoyai immédiatement prévenir M. le maire de Linards, qui vint et me chargea de garder le corps de l’enfant jusqu’au soir, à l’heure où virent les gendarmes et où l’on déposa le corps dans une petite caisse.

Lecture faite … ne sait signer.

Le maire Villette se rend sur les lieux, appelle la sage-femme de la commune, lui demande quelles femmes étaient récemment enceintes ; elle lui désigne Marguerite Mousset, servante dans le bourg, qui avoue être la mère de l’enfant.

Maire – 1° février 1880

Aujourd’hui 1° février 1880, par devant nous, maire de la commune de Linards … est comparu le sieur Duris Pierre, sacristain, demeurant au bourg de Linards, lequel nous a déclaré que Montagner Jean, fossoyeur de ladite commune avait, en relevant la terre sur une fosse, trouvé le cadavre d’un enfant nouveau-né.

Nous étant alors transportés au cimetière, avons retrouvé le cadavre recouvert d’une légère couche de terre et que nous avons reconnu être celui d’une fille.

Dans ces circonstances nous avons fait appeler Monsieur le juge de paix et dans son attente nous avons fait venir devant nous deux filles dont la grossesse était notoire dans cette commune.

A défaut de médecin, nous avons requis la dame Jeanne Deschamps, sage-femme résidant au bourg de Linards, de nous assister.

Nous avons fait comparaître devant nous la fille Marguerite Mousset, âgée de vingt ans, demeurant servante au bourg de Linards et depuis deux jours à Oradour chez son frère qui est malade. Par nous engagée à dire la vérité sur les faits qu’on lui imputait, elle les a niés. Nous nous sommes alors adressés à la sage-femme pour qu’elle put nous éclairer. De l’examen à laquelle [sic] elle a procédé avec tous les égards nécessaires, il est résulté que la fille Mousset avait mis tout récemment au monde un enfant.

Ainsi convaincue de culpabilité, la fille Mousset n’a plus cherché à nier, et par nous interpellée, elle nous a ainsi raconté les circonstances du crime :

Mardi dernier 27 janvier, en sentant des douleurs, je gardai le lit et dis à mes maîtresses qu’étant fatiguée je ne pouvais me lever. Voyant cela on me laissa seule pendant quelques temps. Ce fut vers dix heures du matin que je mis au monde une fille à qui je n’ai reconnu aucun signe de vie. Le lendemain 28 je me levai et fit mon travail comme d'habitude. Vers deux ou trois heures du soir, je pris cette enfant que j’avais laissée dans mon lit, l’enveloppai d’une cravate, et prétextant le besoin d’aller au jardin situé du côté du cimetière, l’emportai, placée dans un tablier, enterrer dans le cimetière, n’y ajoutant aucune importance et ne croyant faire de péché puisque mon enfant était morte.

Monsieur le juge de paix n’ayant pu se rendre ce soir, nous a envoyé les gendarmes à qui nous avons remis ladite Mousset et le cadavre de l’enfant.

De tout quoi … la fille Mousset ne sait signer,

Avons signé avec la sage-femme JEANNE DESCHAMPS

Le maire VILLETTE

Marguerite Mousset avait en vain demandé à la sage-femme de taire son récent accouchement.

Deschamps Jeanne – 3 février 1880

Deschamps Jeanne, veuve Demarty, âgée de 76 ans, sage-femme demeurant au bourg de Linards .. dépose :

Dimanche dernier premier février courant, ma fille m’apprit qu’on venait de trouver au cimetière un enfant nouveau-né. Je m’y rendis et j’y vis en effet le cadavre d’un enfant du sexe féminin. Je rencontrai M. le maire qui me demanda quelle pouvait être la mère de cet enfant. Je lui répondis que mes soupçons se portaient sur une fille du domaine de Garenne ou sur une autre, servante chez Crouzilhat. M. le maire envoya chercher celle de chez Garenne ; je constatai qu’elle était toujours enceinte. Monsieur le maire manda alors la servante de Crouzilhat, laquelle était au village d’Oradour chez son frère. Je la questionnai chez moi ; elle me dit : " Je vous raconterai la vérité à vous, maintenant que nous sommes toutes les deux seules, pourvu que vous vouliez me sauver ! " Je l’examinai et reconnus qu’elle s’était récemment accouchée. Je lui …

Léonard Delbrut de la Fontpeyre trouve près du cimetière un foulard ayant servi à envelopper le cadavre avant son enterrement clandestin.

Delbrut Léonard – 3 février 1880

Delbrut Léonard, âgé de 61 ans, cultivateur, fermier, demeurant à Linards … dépose :

Hier, deux février courant, j’allais couper de l’herbe et des ajoncs (litière) dans une châtaigneraie sise au dessus de l’étang bordant la route qui est près du cimetière. Je trouvai dans la gorge d’un fossé un mouchoir à raies noires de forme triangulaire, plié. Je dépliai ce mouchoir et remarquai qu’il était taché de sang, et je m’empressai de le porte à M. le maire.

Nous représentons au témoin un mouchoir qui vient de nous être remis et que nous avons saisi comme pièce à conviction.

Il déclare le reconnaître parfaitement pour celui dont il vient de parler et notamment à une déchirure qu’il a remarqué quand il l’a trouvé et déplié.

Lecture faite … ne sait signer.

Le maire fait appeler les gendarmes qui emmènent la suspecte en prison à Châteauneuf. Le lendemain ils reviennent à Linards mener enquête et interrogent plusieurs témoins.

Rapport de gendarmerie – 1° février 1880

Nous … Riché César brigadier, Léonard Martial et Baurès Pierre, gendarme à cheval à Châteauneuf …

Informés que le cadavre d’un enfant nouveau-né avait été trouvé dans le cimetière de Linards, nous Léonard et Baurès, nous nous sommes transportés sur les lieux. A notre arrivée en cette commune, M. le maire nous a montré la nommé Mousset Marguerite, âgée de 28 ans, domestique chez le Sr Crouzillat Joseph, âgé de 28 ans, marchand drapier à Linards, née le 12 avril 1851 à Linards, fille de feu Jean et de feue Couhade Jeanne, comme inculpée d’infanticide et ayant fait des aveux, et nous a requis de procéder à son arrestation. Il nous a ensuite remis une boîte en bois contenant l’enfant trouvé dans le cimetière.

Nous avons procédé à l’arrestation de ladite Mousset, et nous conformant audit réquisitoire, l’avons conduite en la chambre de sûreté de la caserne et transporté la boîte renfermant l’enfant aussi dans une chambre de notre caserne.

Aujourd’hui deux février, nous Riché brigadier et Baurés gendarme, nous étant transportés en la commune de Linards, M. le maire nous dit que hier 1° du courant vers trois heures du soir, il fut averti qu’un enfant nouveau-né venait d’être trouvé dans le cimetière de cette commune par le nommé Montagner Jean, âgé de 59 ans, propriétaire et fossoyeur à Linards. Il se rendit sur les lieux et vit en effet le cadavre d’un enfant déposé sur une tombe fraîchement recouverte, dépourvu de langes et recouvert d’un peu de terre qu’il reconnut pour être du sexe féminin. Ses soupçons se portèrent sur la nommée Mousset Marguerite, qui se trouvait en ce moment à Oradour, chez son frère malade. Il la fit aller chercher. Celle-ci ne voulant entrer dans les aveux, il la fit visiter par la nommée Deschamps Jeanne, laquelle déclare affirmativement que celle-ci s’était accouchée depuis peu de jours ; elle reconnut alors s’être accouchée le mardi 27 janvier dernier dans la journée et avait porté son enfant dans le cimetière mercredi 28 janvier.

Le nommé Crouzillat Joseph déclare que mardi 27 janvier sa domestique ne se levant pas comme d’habitude, il alluma le feu et fut à son travail ; il revint vers huit heures du matin, ayant soupçonné sa domestique enceinte et dit à sa tante, la nommée Amadieu, de la surveiller, qu’il se rendait chez le frère de celle-ci, le nommé Mousset Blaise, propriétaire à Oradour commune de Linards, et le décider à venir prendre sa sœur. A son retour sa domestique se trouvant mieux, il fit son travail sans plus s’inquiéter d’elle.

La nommée Philomène Roux, âgée de 19 ans, femme Crouzillat dit alors que ledit jour, sa domestique n’étant pas levée, fut dans sa chambre et la trouvant au lit, elle lui demanda à connaître sa maladie, elle répondit qu’elle avait des douleurs de ventre, d’aller chercher la nommée Arnaud, domiciliée à La Maillerie commune de Linards, désignée comme donnant des soins pour diverses maladies, elle lui répondit qu’elle ne voulait pas de sorciers chez elle. Elle descendit et dit à sa tante la nommée Jeanne Amadieu, qu’elle soupçonnait leur domestique enceinte et craignait qu’elle n’accouche chez eux, cependant elle dit avoir, il y a trois mois environ, lorsqu’elle se trouvait dans la chambre de sa domestique, constaté que les draps du lit étaient tachés. Le soir, cette fille étant mieux, elle ne s’occupa plus d’elle.

La nommée Jeanne Amadieu, célibataire, âgée de 75 ans, tante des époux Crouzillat, déclare que lorsque sa nièce lui eut fait part de ses impressions sur leur domestique, elle monta un bol de tilleul à celle-ci et lui demanda si réellement elle était enceinte ; sur sa réponse négative qu’elle ne souffrait que du ventre, n’était nullement enceinte, elle fit peu après un cataplasme et le lui mit sur le ventre. Le soir, celle-ci étant beaucoup mieux, elle crut aux maux de ventre de sa domestique, sans s’inquiéter davantage. Le mercredi 28 courant, cette domestique se leva vers onze heures du matin et s’assit près du feu et voulut même laver du linge, ce à quoi ladite Amadieu s’opposa, lui disant qu’elle s’était plainte de s’être refroidie au point de lui avoir, il y a trois mois, arrêté ses menstrues. Le jeudi matin elle reprit son travail habituel. Le vendredi, ayant su que son frère était très malade, elle demanda à aller le voir et partit en effet le soir vers cinq heures, portant un cabas plein de linge qu’elle voulait repriser.

La nommée Mandieu Marie, locataire demeurant à Linards, déclare que mardi 27 janvier dernier, étant entrée chez le sieur Crouzillat, elle monta dans la chambre occupée par ladite Mousset, à laquelle elle dit que si elle était enceinte, il ne faudrait pas rester et donner d’embarras à ses maîtres ; elle répondit que sa maîtresse venait de lui tenir les mêmes propos. Vendredi 30 courant, vers la nuit, ladite Mousset fut chez elle, portant un cabas au bras, paraissant plein, lui demanda des gâteaux pour son frère chez laquelle elle se rendait.

Le nommé Montagner Jean déclare que hier 1° janvier courant vers deux heures ½ du soir, recouvrant un cadavre que l’on venait d’enterrer dans le cimetière, il aperçu le corps d’un enfant à peine recouvert de terre. Il fit immédiatement prévenir M. le maire.

Ladite Mousset avoue en effet avoir porté son enfant vendredi 30 courant dans le cimetière de Linards. Elle avoue aussi qu’aussitôt l’enfant déposé, elle se rendit chez son frère et qu’en route elle avait laissé tomber la cravate ayant servi à envelopper son enfant, cravate trouvée aujourd’hui 2 février par le nommé Delbrut Léonard, fermier à la Font Pierre dite commune.

En foi de quoi …

Signalement : Taille 1 m. 48, cheveux et sourcils châtain, front large, yeux gris et [tournés], nez moyen, bouche moyenne, menton rond, visage ovale, teint pâle, boîte un peu.

Le juge d’instruction reprend ensuite l’enquête, assisté du médecin légiste.

Enquête du juge d’instruction – 2 et 3 février 1880

L’an 1880, le 2 février,

Nous Victor Rogues de Fursac, juge d’instruction … accompagné de M. Eugène Chaisemartin, substitut de M. le procureur de la République,

Requis d’informer au sujet du meurtre de son enfant nouveau-né dont est inculpée Mousset Marguerite, âgée de 28 ans, domestique demeurant à Linards,

Aux fins de faire procéder à l’autopsie du cadavre de l’enfant déposé à la gendarmerie de Châteauneuf, et de faire toutes constations qu’il appartiendra,

Nous sommes transportés au bourg de Châteauneuf, où étant arrivés, nous nous sommes rendus à la caserne de gendarmerie. M. le docteur Lemaistre, désigné par nous, par commission séparée, pour opérer l’autopsie, remplit aussitôt l’objet de sa mission ; il en conclut et nous déclare que l’enfant est venu au monde et à terme, qu’elle était bien conformée et constituée, qu’elle a respiré et qu’elle est morte par suite d’asphyxie.

L’heure avancée de la nuit nous fait remettre au lendemain l’interrogatoire de l’inculpée.

Le lendemain matin, trois février, nous interrogeons à la première heure la fille Mousset et, de graves présomptions pesant sur elle, nous décernons contre elle mandat de dépôt.

Nous nous transportons ensuite au bourg de Linards, où habitait l’inculpée et où elle a commis l’infanticide, afin d’y procéder à notre enquête sur cet événement. Nous nous rendons d’abord chez le Sr Crouzillat, marchand drapier, demeurant au bourg de Linards, où l’inculpée était servante.

La famille Crouzillat se compose du mari, de sa femme et e Dlle Amadieu, âgée de 60 ans, tante de madame Crouzillat. La chambre de la maison où la fille Mousset est accouchée est au premier étage sur le derrière. La cuisine et le magasin Crouzillat, où les gens de la maison se tiennent durant la journée, sont au rez-de-chaussée, sur le devant c’est à dire en façade sur la rue. L’inculpée couchait seule dans sa chambre les draps de son lit sont les mêmes dans lesquels elle est accouchée et sont restés dans le même état. Nous constatons en effet que celui de dessous porte une tache considérable de sang et de matière nous paraissant être du moeconium dont la coite est fortement imprégnée. Il y a là pour nous la preuve incontestable d’un accouchement.

Nous nous rendons ensuite au cimetière, où le fossoyeur nous montre la tombe de la femme Lafarge, au dessus de laquelle il a trouvé le cadavre d’un enfant de sexe féminin.

Ces diverses constatations opérées, nous entendons successivement et séparément neuf témoins ; nos opérations étant terminées nous rentrons à Limoges.

De tout quoi …

Le juge d’instruction ROQUE DE FURSAC

Le médecin autopsie l’enfant et découvre qu’il était né vivant et qu’il a été étouffé quelques minutes après sa naissance.

Rapport médico-légal – 2 février 1880

Nous soussigné, docteur en médecine, demeurant à Limoges, avons été requis aujourd’hui 2 février 1880 par M. le juge d’instruction … à l’effet d’examiner la fille Marguerite Mousset, âgée de 28 ans, servante, accusée d’infanticide, et le corps de son enfant.

Après avoir prêté le serment voulu par la loi, nous sommes transportés à Châteauneuf-la-Forêt et avons procédé aux constatations suivantes :

1° - Examen de la mère

la fille Mousset, âgée de 28 ans, est servante chez M. Crouzillat au bourg de Linards. Elle dit être accouchée le mardi 23 janvier dernier. L’examen que nous avons fait de l’abdomen et de son état actuel confirme pleinement ses déclarations.

2° - Examen de l’enfant

L’enfant a été trouvée la veille, premier février, dans le cimetière de Linards, enterrée sous une couche peu épaisse de terre. Le corps de l’enfant est en parfait état de conservation, grâce au froid rigoureux. Il est recouvert d’une couche légère de terre qui est maintenue adhérente à la peau par l’enduit sébacé. Après avoir retiré l’enfant d’une boîte en bois dans laquelle il était renfermé et l’avoir soigneusement lavé, nous avons constaté que cet enfant était du sexe féminin, que son développement était normal, son poids de 5 livres 400 grammes, que les ongles avaient la longueur habituelle ; enfin il nous a présenté l’aspect d’un enfant né à terme.

A – Examen extérieur du corps

La tête est recouverte de cheveux foncés, ayant en moyenne une longueur de 0, 02 centimètre. Le cuir chevelu ne présente aucune trace de violence. Il existe une bosse sanguine physiologique en arrière et à gauche de la fontanelle antérieure. Les os du crâne ont leur développement normal, le pariétal droit est légèrement déprimé et son bord interne passe dans le bord correspondant du pariétal gauche.

Le front, les yeux ne présentent rien de particulier.

L’aile du nez du côté droit est déprimée et appliquée contre la cloison.

L’épithéliane de la lèvre supérieure est détachée dans presque toute son étendue.

Le cou présente la trace de plis formés par l’inclinaison de la tête en avant. Ces plis sont surtout marqués sur la partie latérale gauche du cou.

Le thorax et l’abdomen n’offrent rien d’anormal, l’anus n’est pas souillé de méconium.

Le cordon ombilical, ferme au touché, contenant du sang dans es vaisseaux, est adhérent au placenta. Lorsque nous avons pris l’enfant dans la boîte où il était contenu, le cordon n’était pas enroulé autour du cou.

La placenta et ses membranes sont intacts. Cet organe a dû se détacher facilement et sans provoquer d’hémorragie.

B – Examen des organes

Abdomen – L’intestin contient une grande quantité de méconium, surtout l’S iliaque et le rectum. Par conséquent l’enfant n’a pas souffert pendant l’accouchement.

Le foie est volumineux et contient beaucoup de sang.

Les vaisseaux de l’abdomen sont pleins de sang.

Sur la face supérieure du foie et à gauche du ligament falciforme on trouve une plaque ecchymotique sous-péritonale.

La voussure du diaphragme, vue par sa face inférieure, remonte jusqu’à la 6° côte.

Thorax – Dans le péricarde on trouve une très petite quantité de sérosité légèrement sanguinolente.

Sur la face antérieure du cœur, près de la naissance de l’artère pulmonaire, on aperçoit trois taches ecchymotiques sous péricardiques. Sur le bord droit du cœur on voit aussi quatre petites ecchymoses semblables. Le cœur est très volumineux et toutes ses cavités sont gorgées de sang.

La cavité pleurale ne contient aucun liquide. A la vue les poumons, bien développés, occupent toute l’étendue de la poitrine ; ils présentent sur leurs parties antérieures une coloration d’un rouge vif, les parties situées en arrière ont une coloration plus foncée.

Le poumon droit n’a aucune adhérence avec la plèvre ; ses deux lobes supérieurs présentent sur leur face externe une quinzaine de taches ecchymotiques sous-pleurales. Le lobe inférieur en a un grand nombre en arrière, la face interne en présente aussi plusieurs.

Le poumon gauche a une large ecchymose sous-pleurale près de sa racine. On en trouve en outre sur sa face interne, sur la face externe du lobe supérieur et la partie postérieure du lobe inférieur.

Au toucher les deux poumons présentent de la crépitation. Les deux poumons, plongés séparément dans l’eau, surnagent facilement. Des sections de poumon placées dans l’eau remontent rapidement à la surface. Des morceaux pris à la partie supérieure des organes, là où ils semblent être moins aérés, surnagent facilement.

Lorsqu’on comprime sous l’eau une partie quelconque des poumons, on voit de petites bulles d’air s’en échapper.

Le larynx n’offre rien de particulier, il ne contient pas de corps étranger. Ses cartilages n’offrent pas de trace de violence. La trachée contient quelques mucosités.

L’encéphale – Sous le cuir chevelu, l’ecchymose que nous avons indiquée précédemment est due au travail de l’accouchement. les os ont leur développement normal.

La pulpe cérébrale est ferme, résistante, le lascis vasculaire contenu dans la pré-mère est gorgée de sang noir. Il n’y a aucune trace d’hémorragie dans la pulpe cérébrale. Les ventricules du cerveau ont leur étendue normale et ne contiennent que des traces de sérosité.

Dans le tissu cellulaire du cou, du côté gauche et surtout dans le tissu cellulaire sous-cutané qui entoure le muscle sterno-cléido-mastoïde, on trouve quelques petites ecchymoses.

Conclusions

De ces différentes observations nous concluons :

1° - que l’enfant est né à terme, vivace, bien conformé, ce qui est démontré par le développement des ongles, des poils, des différents organes et enfin par le poids du corps.

2° - qu’il est né vivant et qu’il a complètement respiré, ce qui est prouvé par l’état des poumons (dosimasse pulmonaire)

3° - qu’il est mort peu de temps après sa naissance, ainsi que l’indique l’état de l’intestin qui était encore rempli de méconium.

4° - qu’il est mort par suffocation comme le prouvent les ecchymoses sous-pleurales, sous-péricardiques …

Joseph Crouzilhat, son épouse et sa tante, patrons de l’inculpée, exposent que Marguerite Mousset leur avait caché sa grossesse et son accouchement.

Crouzilhat Joseph – 3 février 1880

Crouzilhat Joseph, âgé de 29 ans, marchand drapier demeurant à Linards … dépose :

Dans le courant de septembre dernier, nous avons pris à notre service comme femme de peine la nommée Marguerite Mousset, qui précédemment était servante chez son beau-frère, le nommé Décembre, colon à Villechenour, commune de Linards. Quelques temps après une personne du bourg me dit qu’elle supposait que la fille Mousset était enceinte ; j’en fis part à ma femme qui en parla elle-même à ma tante, laquelle habite avec nous. Cette dernière questionna Marguerite qui nia être grosse. Ma femme, pour s’assurer de la chose, examina les draps du lit de cette fille ; elle y remarqua deux taches de sang, ce qui dissipa nos soupçons.

Mardi dernier, vingt sept janvier, je me levai vers six heures et demie du matin pour aller en voyage. Contrairement à son habitude, Marguerite n’était point levée. Je me rendis faire une course aux environs de Linards et rentrai au bout de demi heure. A mon retour ma femme et ma tante m’annoncèrent que Marguerite était malade. Ma tante me dit que cette fille se plaignait d’un grand mal au ventre et qu’elle lui avait fait des cataplasmes. Nos soupçons se réveillèrent alors au sujet de la grossesse de cette fille et je partis pour aller au village d’Oradour chercher son frère pour qu’il l’emmenât chez lui et qu’il fit appeler un médecin. Son frère était absent ; il vint seulement le soir. Nous lui fîmes part de nos soupçons au sujet de sa sœur ; il monta la voir dans sa chambre. Elle lui dit qu’elle allait mieux, qu’elle n’avait eu qu’une indisposition.

Le lendemain Marguerite se leva et vaqua un peu à ses occupations. Je suis souvent absent de la maison et ne remarquai point les agissements de cette fille. Ma femme m’a raconté que le vendredi, dans l’après-midi, elle lui proposa d’aller chercher du poireau dans notre jardin sis à trois cent mètres environ de Linards. Ma femme accepta. Puis Marguerite lui dit qu’elle avait appris que son frère était malade et qu’elle voulait se rendre chez lui pour le soigner. Ma femme le lui concéda, mais cette fille, au lieu de partir immédiatement, attendit jusqu’à la tombée de la nuit et se mit alors en route, emportant un cabas. Ma femme lui fit observer que l’heure était bien avancée, mais elle persista à s’en aller, disant qu’elle trouverait quelque femme pour l’accompagner.

Le dimanche suivant, premier février courant, le cadavre d’un enfant nouveau-né fut trouvé dans le cimetière …

Roux Philomène – 3 février 1880

Roux Philomène, âgée de 19 ans, épouse de Crouzilhat Joseph, marchand, demeurant à Linards … chez laquelle [l’accusée] était à son service comme domestique, dépose :

Le quatre septembre dernier, j’ai pris à mon service comme servante la fille Marguerite Mousset. Elle sortait de chez Décembre son beau-frère, colon à Villechenour, commune de Linards.

Deux mois après environ, mon mari me dit que quelqu’un l’avait prévenu que notre servante pouvait bien être enceinte, lui recommandant de la surveiller. A la suite j’ouvris le lit de cette fille et j’y trouvai sur le milieu du drap de dessous une tache de sang large comme la paume de la main. Je fus alors rassurée et n’examinai pas davantage le lit. Je ne fis point part de mes soupçons a cette fille. Elle continua à faire à la maison son travail comme d’habitude, mangeant bien et n’étant point malade.

Mardi dernier, vingt sept janvier, Marguerite ne se leva point. Je montai dans sa chambre ; elle me dit qu’elle avait mal au ventre et ajouta : " Si je croyais que j’eusse le didori (sorte de mal au ventre), j’enverrai chez la Bouretoune (femme qui demeure à la Maillerie, commune de Linards), afin qu’elle conjure ce mal ! " Je lui répondis que nous lui donnerions tous les remèdes qu’elle désirerait, mais quant aux sortilèges, que nous n’en voulions point chez nous. Ma tante lui fit alors des cataplasmes et de la tisane de tilleul. De une heure de l’après-midi à cinq heures, je fus retenue au magasin pour la vente des effets d’une noce, en sorte que pendant ce temps je ne montai point dans la chambre de Marguerite. Je ne sais si ma tante y pénétra pendant cet intervalle. Le soir, avant de me coucher, je demandai à Marguerite de ses nouvelles ; elle me dit qu’elle ne voulait rien prendre.

Le lendemain mercredi, nous louâmes une femme de ménage pour la remplacer. Marguerite se leva vers midi et ne travailla que modérément. Le jeudi elle vaqua à ses occupations, mais sans se fatiguer. J’avais encore ce jour-là la femme de ménage qui me lava du linge. Le vendredi Marguerite fit son ouvrage comme d’habitude. le soir, vers trois heures et demie, elle me demanda d’elle-même à aller chercher du poireau à notre jardin placé en dehors du bourg de Linards. Je le lui accordai. Elle partit ne portant, du moins ostensiblement, aucun paquet et sans se munir de panier. Arrivée devant chez madame Léonard, elle apprit par cette dernière que son frère (à elle Marguerite), habitant au village d’Oradour, commune de Linards, était malade. Elle revint et m’en fit part. Je l’engageai alors à aller le voir, ce qu’elle accepta en me disant qu’elle n’y perdrait pas de temps, qu’elle reviendrait le soir. Elle monta dans sa chambre pour changer de vêtements, redescendit et me pria de lui prêter un cabas, ce que je fis. Elle remonta dans sa chambre et revint tenant le cabas les deux anses passées dans son bras, et je remarquai à l’ouverture de ce cabas du linge blanc ; elle me dit qu’elle emportait ce linge pour le rapiécer. Il y avait à ce moment une heure environ à s’écouler avant la tombée de la nuit, je le lui fis observer en lui disant de se dépêcher. Elle me dit que si son frère n’était pas plus malade, elle reviendrait le soir même. Puis elle partit.

Le dimanche matin, vers huit heures et demie, elle revint à la maison, portant le cabas qui me parut rempli de la même façon qu’au moment de son départ. Elle me dit qu’elle allait retourner chez son frère pour lui faire prendre une autre purge et qu’elle reviendrait chez nous le lendemain lundi.

Le dimanche soir M. le maire de Linards me demanda si Marguerite était chez nous et me raconta qu’on avait trouvé au cimetière un enfant et qu’on la soupçonnait d’en être la mère et de l’y avoir porté.

C’est tout ce que je sais.

Lecture faite … a signé FEMME CROUZILHAC

Amadieu Jeanne – 2 février 1880

Amadieu Jeanne, âgée de 71 ans, célibataire, demeurant à Linards chez le sieur Crouzilhat son neveu … dépose :

Le quatre septembre dernier, ma nièce a pris à son service Marguerite Mousset qui était auparavant servante chez son beau-frère, colon à Villechenour près de Linards.

Quelques temps après, ma nièce me dit que le bruit courait que cette fille pouvait bien être enceinte, mais je ne pris point ce propos au sérieux et n’en parlai pas à cette fille.

Mardi dernier, 24 janvier, Marguerite ne se leva pas le matin. Je montai dans sa chambre savoir ce qui la retenait au lit. Elle me dit qu’elle avait des douleurs entre le ventre et l’estomac. je lui donnai de la tisane de tilleul avec de la fleur d’oranger, puis sur sa demande, je lui portai successivement des cataplasmes qu’elle plaça elle-même sur son ventre. Ces douleurs nous avaient donné quelques soupçons au sujet de la grossesse de cette fille. Je lui dis :  " Si vous êtes enceinte, il faut nous le dire " - " Voilà bien autre chose ! " me répondit-elle, " Si vous avez peur, je me lèverai et m’en irai ! " Je redescendis dans notre cuisine ; il était à peu près neuf heures du matin. De ce moment jusqu’au soir je montai dix ou douze fois dans la chambre de Marguerite pour savoir de ses nouvelles, lui demander si elle avait besoin de quelque chose, lui offrir de la tisane. Mais elle me répondit qu’elle allait mieux, que cela lui avait passé. Le soir, à cinq heures, elle prit un peu de bouillon ; avant de me coucher, je lui donnai de tisane de tilleul.

Le lendemain, je pris une femme de ménage pour suppléer à Marguerite. Le matin, je dis à celle-ci de ne pas se lever, de se reposer ; je lui fis porter sa soupe. Elle dit qu’elle la mangerait lorsqu’elle serait levée. Je lui portai une tasse de café qu’elle prit. Elle se leva vers onze heures du matin et descendit dans la cuisine. Elle m’offrit d’aller laver du linge, mais je refusai, craignant qu’elle ne se fatiguât. Elle travailla dans la maison, puis peu à peu reprit ses occupations.

Le vendredi Marguerite apprit que son frère qui habite à Oradour, commune de Linards, était malade, et vers cinq heures du soir elle partit pour aller le soigner.

Le dimanche suivant on découvrit dans le cimetière de Linards le corps d’un enfant.

Marguerite Mousset, interrogée, prétend avoir ignoré sa grossesse jusqu’au moment de l’accouchement, et affirme que l’enfant était mort-né.

Interrogatoire Mousset Marguerite – 3 février 1880

Devant le juge d’instruction, à Châteauneuf

Mousset Marguerite, âgée de 28 ans, domestique, née à Chazelas, commune de Linards, demeurant au bourg de Linards, célibataire.

D. Où étiez vous à l’époque où vous êtes devenue enceinte ?

R. J’étais au village de Chenour [Villechenour], commune de Linards, servante chez mon beau-frère, qui était alors veuf, et qui s’est marié depuis.

D. A quelle époque l’avez-vous quitté ?

R. Je l’ai quitté lors de la frairie de Linards, en septembre dernier.

D. Où vous êtes-vous placée ensuite ?

R. A Linards, chez Crouzilhat au service desquels j’étais au moment de mon accouchement.

D. Votre beau-frère venait-il vous voir chez Crouzilhat ?

R. Non, monsieur.

D. Quelles observations vos maîtres vous ont-ils faites quand ils ont remarqué que votre taille grossissait démesurément ?

R. Une seule fois la vieille m’a dit : " On raconte que vous êtes grosse, est-ce vrai ? " Je lui ai répondu que non.

D. Vous reconnaissez donc que vous avez constamment caché votre grossesse ?

R. Je ne croyais pas être enceinte.

D. Vous ne pouviez l’ignorer, vous aviez bien que vous aviez eu des rapports sexuels avec un homme ?

R. Oui, monsieur.

D. Vous aviez bien remarqué qu’à la suite, vos pertes de sang s’étaient arrêtées ?

R. Pendant ma grossesse, elles se sont produites deux fois, la première pendant que j’étais encore chez mon beau-frère à Villechenour et la seconde pendant mon séjour chez Crouzilhat.

D. Votre grossesse étant devenue plus avancée, vous avez senti l’enfant remuer ?

R. Je l’ai senti remuer quelquefois, mais pas souvent.

D. Vous n’ignoriez donc pas, comme vous le dites, que vous étiez enceinte ?

R. Je n’étais pas sûre de l’être.

D. Pourquoi, dès lors, vous sachant enceinte, n’avez-vous pas préparé des langes pour vêtir votre enfant ?

R. Je ne croyais pas être enceinte.

D. La vérité, que vous n’osez déclarer, est que vous saviez votre grossesse, que vous ne pouviez l’ignorer, que vous l’avez cachée, que vous aviez décidé de faire périr et disparaître votre enfant et qu’ainsi, ne voulant point l’élever, vous n’aviez point à vous préoccuper de vous procurer des langes ?

R. (l’inculpée reste muette)

D. Quel jour et à quel moment avez-vous ressenti les premières douleurs de l’accouchement ?

R. Dans la nuit de lundi 26 au mardi 27 janvier dernier.

D. Qu’avez-vous répondu aux Crouzilhat lorsque, le mardi matin, ils vous ont demandé quelle maladie vous retenait au lit ?

R. Mme Crouzilhat et sa tante, la vieille, vinrent me demander ce que j’avais. je leur répondis que j’avais mal au ventre et les priai de m’y mettre des cataplasmes.

D. C’était le moment même où commençait votre accouchement et vous prétendiez que vous aviez un simple mal au ventre, une sorte de colique ?

R. J’étais persuadée que ce n’était qu’un mal au ventre.

D. Vos mensonges sont stupides et audacieux ; ils prouvent que vous aviez le parti pris absolu de faire périr votre enfant, que rien n’a pu vous détourner de ce détestable projet, que vous avez repoussé jusqu’au dernier moment tous les secours qui s’offraient providentiellement à vous. Je vous le répète, pourquoi n’avez-vous pas déclaré la vérité à Mme Crouzilhat et à sa tante, toutes deux bonnes et bienveillantes pour vous. Il était temps encore de sauver l’enfant qui commençait à naître ?

R. (L’inculpée, parlant entre ses dents, d’une façon à peine intelligible) : Je croyais que j’avais seulement mal au ventre.

D. A quel moment l’enfant est-il venu au monde ?

R. Dans l’après-midi de mardi, je ne peux préciser à quelle heure.

D. Étiez-vous persuadée à ce moment-là que vous n’aviez qu’un simple mal au ventre ?

R. (l’inculpée ne répond pas)

D. Avez-vous appelé quelqu’un de la maison à votre secours ?

R. Non, monsieur.

D. De quel sexe était votre enfant ?

R. C’était une fille.

D. Elle a crié dès qu’elle a été née ?

R. Elle n’a pas beaucoup crié.

D. Elle a remué ?

R. Ca remue un peu et ça mourut d’abord.

D. Combien de temps a-t-elle vécu ?

R. Cinq minutes, pas grand temps de plus.

D. L’avez-vous baptisée ?

R. Je fis sur elle le signe de la croix et ça mourut d’abord.

D. Où avez-vous placé l’enfant aussitôt après sa naissance ?

R. Je l’avais mise à côté de moi dans le lit.

D. Craignant que ses cris ne fussent entendus dans la maison, vous vous êtes hâtée de l’étouffer ?

R. Non, Monsieur, je ne l’ai pas étouffée.

D. Le médecin a constaté que votre enfant a vécu et respiré assez longtemps et qu’ensuite elle a été étouffée. Vous étiez seule, c’est donc vous qui l’avez étouffée ?

R. Non, monsieur.

D. Le médecin a constaté qu’un des côtés du nez de votre enfant était aplati. Vous l’avez donc étouffée en lui comprimant le nez et la bouche avec votre main ?

R. Je ne lui ai pas mis la main sur le nez ni la bouche ; c’est peut-être en me retournant que la couverture s’est placée sur sa bouche.

D. En admettant même votre système, que vous ne lui avez pas mis la main directement sur la figure, vous ne l’avez pas moins volontairement étouffée en lui appliquant la couverture sur la figure et en exerçant sur le nez et la bouche une pression qui l’a empêchée de respirer ?

R. je ne lui ai pas comprimé la couverture sur la figure. J’ai remarqué seulement que l’enfant ne remuait presque pas.

D. Avez-vous appelé au secours quand vous avez vu que votre enfant était presque inanimée ?

R. Non monsieur.

D. Ce n’est point accidentellement que votre enfant a péri. Vous l’avez étouffée volontairement ?

R. Non, monsieur.

D. Quel jour avez-vous porté votre enfant au cimetière de Linards ?

R. Je l’y ai portée le mercredi, lendemain de mon accouchement.

D. Vous mentez encore en cela ; votre enfant a été trouvée cachée dans le petit relevé de terre surmontant la tombe de la femme Lafarge, enterrée le jeudi vingt neuf janvier. Vous n’avez donc pu l’y placer que postérieurement à l’ensevelissement de cette femme. C’est en effet le vendredi que vous êtes sortie, ayant au bras un cabas, sous le prétexte de vous rendre chez votre frère au village d’Oradour. Vous êtes alors allée au cimetière, y avez enterré le corps de votre enfant et avez rejoint à travers champs la route menant à Oradour ?

R. C’est peut-être bien le vendredi que je l’ai portée au cimetière.

D. Pourquoi, au lieu de laisser cette enfant enveloppée dans le linge qui la couvrait dans votre panier, l’avez-vous enterrée toute nue comme un animal qu’on enfouit ?

L’inculpée ne répond pas.

D. Le nommé Delbrut a retrouvé dans un champ voisin du cimetière le mouchoir qui avait enveloppé votre enfant?

R. C’est un mouchoir que je mettais à ma tête.

Lecture faite … ne sait signer

Marie Mandeix, journalière, assure que la grossesse de Marguerite était de notoriété publique.

Mandeix Marie – 3 février 1880

Mandeix Marie, épouse Maumont, âgée de 61 ans, journalière, demeurant à Linards … dépose :

Un jour de la semaine dernière, en me rendant à mon travail, je trouvai devant chez Crouzilhat la tante de ce dernier, qui me dit : " Notre servante est bien malade ; elle voulait m’envoyer chercher la Bouretoune de La Maillerie ; j’ai refusé !… " - " Si vous ne pouvez y aller, je m’y rendrai bien " répondis-je. – " Je ne veux pas qu’une telle femme entre chez moi ! " répliqua-t-elle.

Je montai avec la tante de Crouzilhat dans la chambre de sa servante, où je restai quelques instants seule avec celle-ci. Il était deux ou trois heures de l’après-midi. Je lui dis : " Si ce que les gens racontent est vrai, vous feriez bien de ne pas rester chez Crouzilhat;  cela tache le linge et c’est fort ennuyeux ! "  Je l’engageai par là, si elle était enceinte et sur le point d’accoucher, à quitter la maison. Elle me répondit : " La vieille (la tante de Crouzilhat) est aussi montée dans ma chambre et m’a fait la même répétition ; mais je lui ai répondu, comme à vous, que ce n’était pas vrai ! "

Si j’avais su ce qui en était, je ne me serais pas gênée pour lever les couvertures et examiner le lit.

Depuis quelques temps, j’avais ouï dire que Marguerite était grosse. Un jour, nous trouvant toutes deux à la pêcherie, je remarquai qu’elle lavait une chemise tachée de sang, que je reconnus comme devant appartenir à sa maîtresse. Pour la faire parler, je lui dis : " Je vois bien que ce que l’on dit de vous n’est pas vrai. " - " Cette chemise n’est pas à moi " répondit-elle, " mais j’ai les sangs arrêtés depuis le jour où je me suis mouillée en conduisant des cochons de chez Crouzilhat à la foire de La Croisille. "

Lecture faite … ne sait signer.

Augustine Léonard, épicière du bourg, et sa servante Françoise Coupet, révèlent que Marguerite Mousset avait chercher à se procurer un abortif.

Coupet Françoise – 3 février 1880

Coupet Françoise, âgée de 14 ans, servante chez Mlle Léonard, demeurant à Linards … dépose ;

Il y a deux mois environ, Marguerite, servante de chez Crouzilhat, vint à la maison et me demanda une purge. Je lui dis que nous n’en avions pas et que, quand même nous en aurions, ce ne serait pas pour elle.

Quelques jours après, je la rencontrai à la fontaine ; elle me dit qua la purge qu’elle était venue me demander était pour une personne qui était chez elle et qu’elle avait répondu à cette dernière que nous n’en vendions pas.

Elle ajouta, à plusieurs reprises, que cette purge n’était pas pour elle (Marguerite).

Lecture faite … a signé FRANCOISE COUPET

Léonard Augustine – 3 février 1880

Léonard Augustine, âgée de 37 ans, épouse de Léonard Martial, épicière demeurant à Linards … dépose :

J’avais souvent entendu dire que Marguerite Mousset, servante chez Crouzilhat, était enceinte. Un jour, il y a deux ou trois mois, la voyant passer, je remarquai que sa taille avait un volume insolite et j’en fis part à ma mère qui se trouvait avec moi.

Il y a un mois et demi environ, cette fille vint chez nous où elle trouva ma servante. Elle lui demanda de lui vendre une purge. Ma servante lui répondit que nous n’en avions pas. Le lendemain elle trouva ma servante à la fontaine et lui dit : " Quelqu’un chez nous voulait cette purge, je leur ai dit que vous n’en vendiez pas et l’on s’en est allé ! " Elle répéta deux ou trois fois que cette purge n’était pas pour elle. Cette circonstance confirma mes soupçons sur sa grossesse.

Lecture faite … a signé

AUGUSTINE LEONARD

Lors d’un second interrogatoire l’accusée prétend qu’elle n’avait pas demandé la purge abortive pour elle, puisqu’elle ignorait sa grossesse, mais pour une connaissance de ses employeurs.

Interrogatoire Mousset Marguerite – 17 février 1880

Devant le juge d’instruction, à Limoges

Mousset Marguerite, âgée de 28 ans, domestique, née à Chazelas, commune de Linards, demeurant au bourg de Linards, célibataire.

D. Un mois et demi environ avant votre accouchement, vous êtes allée chez madame Léonard, épicière à Linards et avez demandé à acheter une purge, le reconnaissez-vous ?

R. J’ai en effet demandé qu’on me vendit une purge, mais ce n’était pas pour moi.

D. Pour quelle personne était-elle ?

R. Pour une personne du village d’Oradour qui m’en avait chargée.

D. Comment s’appelle cette personne ?

R. Je ne sais pas son nom.

D. Vous avez dit à la servante de Mme Léonard que cette purge était pour quelqu’un se trouvant chez vos maîtres Crouzilhat ?

R. Non, je ne l’ai pas dit.

D. Il est établi que personne chez Crouzilhat ne vous avait donné cette commission. Indiquez-nous donc le nom de la personne d’Oradour qui vous avait chargée d’acheter cette purge ?

R. Je ne le sais pas.

D. Où lui avez-vous parlé ?

R. Nulle part.

D. Vous nous répondez absurdement. En quel endroit avez-vous vu cette personne ?

R. A Linards

D. Dans quelle partie du bourg de Linards ?

R. La vérité est que personne ne m’avait donné la commission d’acheter la purge.

D. C’est donc pour vous que vous vouliez l’acheter ?

R. C’était probablement pour moi.

D. Dans quel but vouliez-vous la prendre ?

L’inculpée ne répond rien.

D. C’était dans l’intention de faire disparaître votre grossesse ?

L’inculpée ne répond pas.

Nous reproduisons cette question, à laquelle elle répond : Ce n’était pas dans une mauvaise intention que je voulais prendre une purge !

D. Aussitôt après la découverte du cadavre de votre enfant, vous avez été visité par la veuve Demarty, sage-femme à Linards. Ne pouvant à la suite nier votre accouchement tout récent, vous lui avez dit : " Je vous raconterai la vérité à vous, maintenant que nous sommes toutes les deux seules, pourvu que vous vouliez me sauver ! sauvez-moi, l’argent ne vous manquera pas ! " C’était l’aveu flagrant de votre culpabilité !

R. Je n’ai point dit à Madame Demarty que l’argent ne lui manquerait pas. Du reste, je n’avais pas d’argent pour lui en promettre.

D. Dès qu’elle a été née, votre enfant a crié et remué ?

R ; Oui monsieur, elle a un peu crié et remué.

D. Combien de fois a-t-elle crié ?

R. Dès qu’elle a été née, j’ai voulu me lever pour la secourir, mais je n’ai pu le faire, parce que je me suis trouvée mal.

D. Vous nous avez dit dans votre premier interrogatoire qu’elle avait crié plusieurs fois ?

R. Je l’ai entendue crier deux fois, mais peu fort.

D. C’est pour la première fois aujourd’hui que vous dites vous être évanouie à la suite de votre accouchement ?

R. Je vous assure que je vous l’ai déjà dit.

D. Où était placée votre enfant pendant votre prétendu évanouissement ?

R. Je l’avais laissée entre mes jambes telle que je l’avais expulsée.

D. Qu’avez-vous fait de l’enfant une fois revenue de votre évanouissement ?

R. je l’ai mise près de moi ; elle remuait encore un peu, mais c’était presque mort.

D. Avez-vous coupé le cordon ombilical ?

R. Non, monsieur, ça tenait tout ensemble.

R. Pourquoi ne l’avez-vous pas coupé ?

R. Parce que je ne savais que faire, je n’avais rien pour le couper.

D. Si nous n’aviez pas l’intention préméditée depuis longtemps, bien arrêtée et persistante jusqu’au dernier moment de tuer votre enfant, vous auriez pu encore, en admettant même que les choses se sont passées ainsi que vous le racontez, appeler du secours et votre fille eût été sauvée ?

R. J’ai crié une fois, mais personne n’a répondu.

D. La vérité est qu’aussitôt votre enfant née, vous l’avez placée près de vous en maintenant sa tête sous les couvertures, que vous lui avez comprimé les couvertures sur le nez et la bouche et l’avez ainsi étouffée ?

R. Je ne voulais pas le tuer et je ne l’ai pas tuée. Elle a du être étouffée pendant qu’elle a séjourné sous les couvertures.

Lecture faite … ne sait signer.

Mais Joseph Crouzilhat, son épouse et sa tante nient avoir passé commande de la purge.

Crouzilhat Joseph – 13 février 1880

Crouzilhat Joseph, vingt neuf ans, marchand drapier, demeurant au bourg de Linards … dépose :

Sur interpellation, le témoin répond : je n’ai jamais chargé Marguerite Mousset d’acheter ni pour moi ni pour personne, aucun remède chez qui que se soit, et notamment chez l’épouse Léonard, épicière à Linards.

L’épouse Roux, aubergiste à Masseret, ma cousine, a couché deux nuits chez nous, dans les premiers jours du mois de janvier dernier ; pendant son séjour à la maison, elle n’a point été malade, et je suis persuadé qu’elle n’a point donné commission à Marguerite Mousset de lui acheter de purge.

Je ne me rappelle point que nous ayons reçu d’autres personnes dans les deux mois qui ont précédé l’accouchement de la …

A signé CROUZILHAT

Roux Philomène – 13 février 1880

Roux Philomène, dix neuf ans, épouse de Joseph Crouzilhat, marchand drapier, demeurant au bourg de Linards … dépose :

Sur interpellation, le témoins répond :

Ni moi ni personne de la maison, que je sache, n’a jamais chargé la fille Mousset, notre servante, d’acheter une purge pour nous. Au surplus, nous faisons venir de Limoges tous les médicaments dont nous avons besoin. Nous ne sommes pas en bons termes avec Mme Léonard, et si d’une façon inopinée et urgent un remède nous était nécessaire, au lieu de le prendre chez elle, nous nous le procurons chez M. le curé qui en tient à la disposition des malades du pays.

Nous n’avons, dans le courant de novembre et de décembre dernier, reçu à la maison aucune personne de connaissance, autre que certains de nos parents qui sont venus le jour de foire et ont mangé chez nous, sans y coucher. Je suis persuadée que ces personnes n’ont jamais chargé la fille Mousset d’acheter de purge.

Lecture faite … a signé FEMME CROUZILHAC

Amadieu Jeanne – 13 février 1880

Amadieu Jeanne, âgée de soixante dix ans, sans profession, demeurant à Linards … dépose :

Je n’ai jamais chargé Marguerite Mousset d’acheter ni purge ni quoi que soit chez Mlle Léonard, épicière à Linards.

Je suis persuadée que personne à la maison ne lui a donné pareille commission.

Lecture faite … ne sait signer.

Un troisième interrogatoire de l’accusée ne la convainc pas d’avouer le meurtre.

Interrogatoire Mousset Marguerite – 1° mars 1880

Devant le juge d’instruction, à Limoges

Mousset Marguerite, âgée de 28 ans, domestique, née à Chazelas, commune de Linards, demeurant au bourg de Linards.

D. Vous avez reconnu avoir eu, pendant votre séjour à Villechenour, des rapports avec un homme ?

R. Oui, monsieur.

D. Vous avez reconnu aussi n’avoir, durant votre grossesse, eu vos règles que deux fois, l’une pendant votre séjour à Villechenour, l’autre pendant le temps que vous êtes restée chez Crouzilhat ?

R. Oui, monsieur.

D. Dans quel mois vos règles ont elles reparu pour la première fois ?

R. Je ne me rappelle point le mois, c’était , je crois, à l’époque de la moisson.

D. Dans quel mois sont-elles revenues la deuxième fois ?

R. C’est environ un mois après mon entrée au service de M. Crouzilhat (cette entrée a eu lieu le 4 octobre 1879)

D. Vos règles n’ayant, ainsi que vous le prétendez, paru que deux fois en neuf mois, après les rapports sexuels que vous avez eus, vous n’avez pu douter un instant que vous ne fussiez enceinte ?

R. Je ne croyais pas l’être.

D. Votre taille devenant volumineuse, c’était encore pour vous la preuve de votre grossesse ?

R. Je ne croyais pas être grosse.

D. Pendant votre séjour chez Crouzilhat, vous avez rencontré un jour à la pêcherie la femme Maumont. Celle-ci, remarquant que vous laviez une chemise tachée de sang, vous dit, faisant allusion à la rumeur publique vous accusant d’être enceinte : " Je vois bien que ce que l’on dit de vous n’est pas vrai. " A quoi vous répondîtes : " Cette chemise n’est pas à moi, mais j’ai les sangs arrêtés depuis le jour où je me suis mouillée en conduisant les cochons de chez Crouzilhat à la foire de La Croisille. " Vous mentiez en répondant ainsi, puisque vos suppressions avaient commencé pendant que vous étiez à Villechenour, à la suite des rapports sexuels que vous aviez eus ?

R. Je n’ai jamais tenu un pareil propos à la pêcherie ni ailleurs.

D. Pourquoi, questionnée par la tante de Crouzilhat, dans les derniers temps de votre grossesse, avez-vous nié être enceinte ?

R. Parce que je ne croyais pas l’être.

D. Vous étiez au contraire tellement sûre d’être grosse que vous vouliez vous faire avorter au moyen d’une purge ?

R. Non, monsieur.

D. Vous avez bien déclaré que la purge que vous vouliez acheter n’était pas pour vous, mais vous n’avez pu nous indiquer la personne qui vous avait chargée de l’acheter, parce qu’en réalité elle vous était destinée ?

R. J’y ai réfléchi depuis mon dernier interrogatoire et je me suis rappelé ceci : un soir M. Crouzilhat mon maître, revenant de sa propriété, raconta en ma présence que, dans sa tournée, il avait rencontré quelqu’un, un colon à lui ou tout autre, qui voulait se procurer une purge. Il ne me donna point la commission d’en acheter chez madame Léonard, mais sachant que chez M. Crouzilhat étaient en froid avec cette dame, j’eus la pensée de demander moi-même une purge à cette dernière et je fus assez bête pour en parler à sa servante à la fontaine, mais je n’ai jamais mis les pieds chez madame Léonard pour lui acheter de purge.

D. Pourquoi n’aviez-vous préparé aucun lange pour vêtir votre enfant ?

L’inculpée ne répond point à cette question que nous réitérons à plusieurs reprises.

D. Vous n’osez point l’avouer, vous n’avez pas préparé de langes parce qu’il n’en était point nécessaire pour votre malheureux enfant à l’avance condamné par vous à périr dès qu’il aurait vu le jour !

R. Je ne l’ai pas tuée.

D. A quelle heure êtes-vous accouchée ?

R. Je n’en sais rien.

D. Est-ce le jour ou la nuit ?

R. C’est pendant le jour.

D. Est-ce avant ou après midi ?

R. Mettez que c’est à dix heures du matin.

D. Qu’avez-vous fait après la naissance de l’enfant ?

R. Je vous l’ai bien raconté.

D. Racontez-le de nouveau ?

R. Dès qu’elle a été née, je me suis évanouie

D. Vous n’en avez rien dit à M. le juge de paix ni à nous dans votre premier interrogatoire ; c’est seulement dans votre second interrogatoire que vous en avez parlé pour la première fois.

R. Je ne me le rappelais pas.

D. Qu’avez-vous fait ensuite ?

R. Je n’ai rien fait.

D. Vous avez bien pris votre enfant ?

R. Je l’ai ôtée de la misère (saleté) où elle était ; c’était presque mort.

D. Aujourd’hui, pour la première fois, vous prétendez que l’enfant aurait été étouffée dès sa naissance faute d’air et de soins ; mais le médecin a constaté qu’elle était née forte, bien constituée, qu’elle a d’abord longuement respiré, pleinement vécu et qu’elle a ensuite été étouffée. C’est donc vous qui volontairement l’avez tuée ?

R. Non, je ne l’ai pas tuée.

D. Si vous n’aviez pas eu l’intention formelle de faire périr votre enfant, vous auriez appelé quelqu’un à votre aide au moment de sa naissance, ou plutôt vous n’auriez pas nié votre accouchement au moment où il se produisait et éloigné de vous les personnes bienveillantes qui offraient de vous venir en aide ?

L’inculpée ne répond pas.

D. La femme Maumont elle-même, celle-là qui avait eu avec vous à la pêcherie la conversation que je vous ai rapportée, est montée vous voir dans votre chambre. Vous lui avez nié de nouveau la véritable cause de votre maladie ?

R. Je n’ai pas vu cette femme, je ne la connais pas.

D. Si votre enfant fût morte naturellement, vous n’auriez pas caché son corps et vous ne l’auriez pas enterré clandestinement. Si vous l’avez fait, c’est que vous redoutiez, non sans raison, qu’on ne découvrit sur lui des traces de mort violente ?

R. J’ai en effet eu tort de le cacher.

D. Pourquoi, interrogée par M. le maire de Linards, avez-vous persisté à nier votre accouchement ?

R. C’est là le tort que j’ai eu.

D. Pourquoi, si vous n’êtes pas coupable du meurtre de votre enfant, avez-vous supplié lé sage-femme de vous sauver, l’assurant que l’argent ne lui manquerait pas ?

R. Je n’ai jamais dit cela.

D. Vos dénégations intéressées et maladroites ne peuvent infirmer aucunement les déclarations de témoins honnêtes et impartiaux ; elles nous donnent la mesure de votre mauvaise foi et nous indiquent quelle créance il faut ajouter à vos allégations changeantes sur la naissance et la mort de votre enfant ?

R. Je ne peux pas reconnaître ce qui n’est pas vrai.

Lecture faite … ne sait signer.

Le procureur renvoie Marguerite Mousset devant les assises de Limoges.

Exposé du procureur – Avril 1880

Une fille du nom de Mousset Marguerite, âgée de 28 ans, entrée de 4 septembre 1879 au service des époux Crouzillas, marchands à Linards. Le bruit se répandit bientôt que cette fille était enceinte et elle fut à diverses reprises interpellée à ce sujet, soit par ses maîtres soit par quelques autres personnes. Mais elle opposa toujours des dénégations énergiques aux questions qui lui étaient adressées. Le vingt neuf janvier, dans la matinée, Marguerite Mousset ressentit les premières douleurs de l’enfantement, elle fut obligée de garder le lit ; une dame Amadieu, tante de Crouzillas et habitant avec lui alla la voir dans sa chambre. Elle lui demanda de nouveau si elle n’était pas enceinte et si les douleurs qu’elle ressentait n’étaient pas le résultat de sa grossesse. La prévenue protesta avec énergie ; elle déclara qu’elle n’avait autre chose que mal au ventre, elle convainquit la dame Amadieu de la sincérité de ses allégations et celle-ci lui donna tous les soins applicables en pareil cas. Dans la soirée Marguerite Mousset déclara qu’elle allait mieux, elle se leva le lendemain et dès le surlendemain elle vaqua à ses occupations habituelles.

Dans la soirée du 30, la prévenue apprit qu’un de ses frères qui habitait un village situé à une certaine distance du bourg de Linards, était malade. Elle saisit ce prétexte pour s’éloigner, elle demanda à ses maîtres la permission d’aller soigner son frère ; elle emprunta un cabas (sorte de panier) et quitta la maison à la nuit tombante. Elle avait eu la précaution de placer du linge à la partie supérieure du cabas. M. Crouzillas l’aperçut et lui demanda une explication. Marguerite Mousset répondit qu’elle emportait une chemise afin de la raccommoder.

Le dimanche suivant, 1° février, la prévenue revint à Linards. Le même jour, le fossoyeur découvrit sur une tombe récemment recouverte le cadavre d’un enfant nouveau-né qui avait été placé à cet endroit sous une légère couche de terre. Aussitôt que le maire de la commune fut informé de cet événement, il fit appeler Marguerite Mousset ; celle-ci déclara tout d’abord que l’enfant qu’on venait de trouver n’était pas le sien car, disait-elle, elle n’avait jamais été enceinte, mais elle fut aussitôt soumise à l’examen d’une sage-femme qui constata sur elle les traces certaines d’un accouchement récent. Elle fut alors contrainte d’avouer qu’elle était en effet accouchée, mais elle affirma qu’elle avait mis au monde un enfant mort.

L’expertise médicale à laquelle il a été procédé à démontré que l’enfant de Marguerite Mousset était né à terme, vivace et bien conformé, qu’il était né vivant et avait complètement respiré, qu’il était mort peu de temps après sa naissance, que sa mort avait été le résultat de la suffocation, et que la suffocation avait été probablement produite par la flexion de la tête de l’enfant sur le thorax ; en effet l’expert avait constaté sur la partie antérieure du cou certains plis et suffisions sanguines sous-cutanées, et avait en outre remarqué un aplatissement des narines, surtout de la narine gauche, indiquant qu’une pression avait été produite en cet endroit.

A la suite de telles constatations, la culpabilité de la prévenue ne saurait être douteuse, son enfant est mort parce qu’elle a fortement appuyé la main sur son nez, sa bouche, et l’a ainsi privé d’air et l’a étouffé. Marguerite Mousset, interrogée, a reconnu tout d’abord qu’après la naissance de son enfant elle l’avait ramené auprès d’elle, que cet enfant avait un peu crié, un peu remué, mais qu’il était mort peu d’instants après sa venue au monde ; plus tard elle a dit qu’au moment de la naissance l’enfant avait poussé deux vagissements, mais qu’elle-même s’était évanouie, que son enfant était resté entre ses jambes, que lorsque sa syncope s’était dissipée elle avait placé l’enfant auprès d’elle et qu’il était mort presque aussitôt, que jamais elle n’avait eu l’intention de le tuer.

Les circonstances de la cause donnent à cette dernière partie des allégations de la prévenue un démenti formel. Elle n’ignorait pas qu’elle fut enceinte et cependant elle repoussait avec énergie toutes les insinuations ou questions directes qui lui étaient posées à cette occasion, elle n’avait fait aucun préparatif pour recevoir son enfant. Dans l’espoir d’obtenir un avortement, elle avait demandé une purge qui lui avait été refusée. Le jour de son accouchement, malgré les remontrances de ses maîtres, elle persista à dissimuler son état ; lorsqu’elle fut visitée par une sage-femme, le jour même de la découverte du cadavre de son enfant, elle supplia cette dernière de na pas la perdre : " Sauvez-moi ", dit-elle, " l’argent ne vous manquera pas " et comme la sage-femme lui déclara qu’elle allait faire part au maire de ses constatations, la prévenue ajouta : " Je vois bien que ne voulez pas me sauver. " Enfin, après la naissance de son enfant, Marguerite Mousset a pris les précautions les plus grandes pour faire disparaître le cadavre. Ces précautions, elle ne les aurait pas prises si cet enfant fut venu au monde sans vie ou si sa mort fut survenue naturellement.

Dans ces circonstances, nous estimons qu’il y a lieu de traduire la fille Marguerite Mousset devant la chambre des mises en accusation, sous inculpation d’infanticide et de suppression d’enfant.

Fait au Parquet à Limoges

Le procureur de la république.

Marguerite Mousset sera cependant acquittée par le jury d’assises le 12 mai 1880. Le Courrier du Centre rend compte du procès.

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