ADHV 5 U 13 – 1881 Procès d’assises de Léonard Couade

Le 3 avril 1881, Pierre Lafond, cultivateur au Rouvereau, village de la commune de Saint–Méard, envoie chercher le maire de cette commune et lui présente sa plainte pour le vol et l’agression dont il a été victime la veille, et dont il accuse Léonard Couade, taillandier au village voisin d’Echizadour, dans la même commune.

Procès verbal du maire de Saint Méard le 3 avril 1881.

Nous Jumeau Léonard, maire de la commune de Saint Méard (Haute-Vienne), à la requête du sieur Lafond Pierre, propriétaire cultivateur domicilié au Rouvereau en cette commune, disant avoir été arrêté hier soir vers les huit heures en revenant de la foire de Linards, au pont dit de Linards, par un sieur Couade Léonard, taillandier domicilié à Echizadour en cette commune, qui lui aurait pris une somme de quatre vingt dix francs avec la bourse qui est en laine, sa tabatière et son couteau.

Nous étant transporté, accompagné de MM. Médas Jean-Baptiste et Yrieix Gay-Bonnet, nous avons trouvé le sieur Lafond Pierre au lit, malade de blessures qu’il dit avoir reçues du sieur Couade lorsqu’il lui a pris son argent. Aussitôt nous avons dressé procès verbal selon les plaintes du sieur Lafond Pierre.

A Saint Méard le 3 avril 1881

Averti de cette accusation, Léonard Couade se précipite dès le lendemain matin 4 avril pour se disculper, chez le juge de paix de Châteauneuf qui n’est pas encore au courant.

Exposé du juge de paix, 12 avril 1881

Nous Jean-Baptiste Emile Delassis, juge de paix …

Déclarons : que le 4 avril courant vers les 9 heures du matin, le s. Léonard Couade, forgeron demeurant à St Méard, aujourd’hui inculpé d’un vol avec violences commis au préjudice du s. Pierre Lafont, marchand de veaux demeurant au Rouvereau commune de St Méard, vint nous trouver et nous dit :

Que le samedi soir 2 avril, jour de foire de Linards, un individu, le père Lafont du Rouvereau, prétendait avoir été volé d’une somme de quatre vingt dix francs, qu’on l’accusait de ce vol, que M le maire de St Méard avait dressé procès verbal contre lui, et que c’était bien malheureux, attendu qu’il était tout à fait innocent de ce crime, et qu’il pourrait prouver qu’au moment où le fait avait eu lieu il se trouvait dans les auberges de Sautour et Villetelle de Linards, en compagnie des sieurs Sautour, tuiliers à Jumeau, en compagnie desquels il s’était retiré le soir chez ces derniers.

Je lui ai répondu que je n’avais – ce qui était vrai – aucune connaissance des faits qu’il me rapportait, que s’il était vrai, comme il le disait, qu’un procès verbal avait été dressé par M. le maire de St Méard, je ne tarderai pas à en être informé et qu’aussitôt après je […], que du reste s’il était absent comme il le prétendait au moment du vol, il lui serait facile de se disculper.

Là s’est bornée la conversation que j’ai eue avec le s. Couade.

Fait et dressé le présent procès verbal …

Le juge de paix.

Le 5 avril, ayant reçu la plainte dressée par le maire de Saint Méard, le juge de paix ouvre l’enquête en se rendant d’abord chez la victime Pierre Lafont, fait constater ses blessures par un médecin, entend sa déposition, envoie les gendarmes rechercher d’éventuels témoins ; le lendemain il se rend sur les lieux du crime, interroge plusieurs témoins et en conséquence fait arrêter Léonard Couade.

Procès verbal du juge d’instruction, 5 et 6 avril 1881

L’an 1881, le cinq du mois d’avril à onze heures du matin,

Nous Emile Jean –Baptiste Delassis, juge de paix .. assisté de M. Jean Ferlaud notaire à Châteauneuf … remplaçant M° Léonet greffier absent momentanément,

A la suite d’un procès verbal dressé par M. le maire de St Méard le trois courant sur la plainte de Pierre Lafont cultivateur demeurant au Rouvereau commune de St Méard contre Léonard Couade forgeron demeurant à Echizadour dite commune de St Méard, inculpé de vol et blessures,

Et en exécution de la lettre de monsieur le procureur de la République près le tribunal civil de première instance de Limoges en date du cinq aussi courant,

Nous sommes transporté en compagnie de M. Dutheillet docteur en médecine au lieu du Rouvereau au domicile de Pierre Lafont, où étant avons requis M. Dutheillet de procéder à l’examen médical de Lafont et nous faire son rapport sur l’état de ce dernier, opération à laquelle il s’est aussitôt livré, promettant nous remettre son rapport écrit, qui sera annexé au présent procès verbal. Cette opération terminée, nous avons entendu ledit Lafont et un autre témoin, Pierre Bardaud, ainsi qu’il résulte de leurs dépositions sur feuilles séparées, et n’ayant pas sur les lieux à notre disposition d’autres témoins pouvant nous fournir des renseignements utiles sur la manifestation de la vérité, avons requis M. le commandant de la brigade de Châteauneuf d’amener ou faire comparaître devant nous les personnes qui nous ont été indiquées, demain à onze heures du matin en notre cabinet à Châteauneuf ainsi que l’inculpé Couade pour procéder à leur audition et interrogatoire, et avons ajourné à demain notre information.

De tout ce que dessus avons fait et dressé le présent procès verbal …

Et le six avril 1881, nous … juge de paix … en notre cabinet …

En conséquence de l’ajournement … avons entendu trois témoins et procédé à l’interrogatoire de l’inculpé Couade ; cela fait nous nous sommes immédiatement transporté à Linards où nous avons entendus autres quatre témoins, hors la présence du prévenu que nous avons fait conduire par MM Riché et Laprade brigadier et gendarme à Châteauneuf, avons ensuite fait la visite aux lieux et avons constaté sur le bord de la route de Linards à La Croisille à trois mètres du fossé de gauche qu’il existe des traces de sang à une distance de deux cent soixante treize mètres de l’avenue de l’habitation Boneau et à quatre cent cinquante sept mètres de la maison Reilhac, en sorte que le point où a eu lieu le crime n’a pas d’autres maisons plus rapprochées que celles sus indiquées.

Notre mission terminée, et attendu qu’il résulte tant de l’enquête que de l’interrogatoire de l’inculpé des indices suffisants de culpabilité contre Léonard Couade, avons requis M. le commandant de la brigade de gendarmerie de Châteauneuf de se saisir dudit Couade et le tenir à la disposition de monsieur le procureur de la République.

De tout ce que dessus …

Le rapport du médecin fait état ce 5 avril d’une plaie ouverte à la tête, sans doute assez grave pour un homme de 77 ans ; une nouvelle visite le 2 mai lui permettra d’ailleurs de constater la lenteur de la guérison.

Rapport du médecin, 5 avril 1881

Nous soussigné docteur en médecine de la faculté de Paris, sur la réquisition de monsieur le juge de paix de Châteauneuf, nous sommes transporté ce jourd’hui 5 avril 1881 à deux heures du soir au village du Rouvereau commune de St Méard, et au domicile de Pierre Lafont, afin de constater l ‘état dans lequel se trouve le blessé.

Nous avons préalablement prêté serment de faire notre rapport et de donner notre avis en notre honneur et conscience.

Lafont Pierre, âgé de 77 ans, cultivateur propriétaire, est au lit, dans une chambre attenant à la cuisine.

Le crâne présente une plaie située à la région fronto-pariétale droite, longue de cinq centimètres et d’un centimètre de largeur ; sa direction est horizontale, les bords de cette plaie sont déchirés, elle semble intéresser toute l’épaisseur du cuir chevelu. Dans sa moitié inférieure la lèvre inférieure de cette plaie est …

Malgré son grand âge et sa faiblesse, j’espère que Pierre Lafont ne tardera pas à recouvrer la santé.

Châteauneuf le 5 avril 1881

C. Dutheillet

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Rapport du médecin, 2 mai 1881

Nous soussigné, docteur en médecine, sur la réquisition de Monsieur le juge de paix du canton de Châteauneuf, nous sommes transporté le deux mai 1881 dans la commune de St Méard, au village du Rouvereau et au domicile de Lafont Pierre, à l’effet d’examiner l’état dans lequel se trouve le blessé, après avoir préalablement prêté serment de faire notre rapport et de donner notre avis en notre honneur et conscience.

Nous avons trouvé Lafont assis devant sa maison, il semble très affaibli, il marche avec peine, depuis quatre ou cinq jours il a quitté le lit.

La plaie du crâne n’est pas encore cicatrisée, elle présente de la suppuration, les bourgeons charnus se développent lentement et ne sont pas encore de niveau avec le cuir chevelu.

Le blessé accuse des douleurs dans les deux côtés de la poitrine, elles sont plus vives à droite.

Lafont est encore incapable de travailler.

La première audition de Pierre Lafont par le juge de paix résume l’affaire : il a mené, à pied, un veau à la foire bi-mensuelle de Linards (le premier samedi du mois), toujours très fréquentée. Sa bête vendue dans l’après-midi pour 90 francs et l’affaire bien arrosée avec le vendeur, il achète des chaussures puis prend le chemin du retour à la nuit tombée ; à quelques distance du bourg de Linards il est assommé par Léonard Couade qui le vole et le laisse inanimé au bord du chemin. Il a entendu dire que Couade, dont la blouse était peut-être tachée de sang, en aurait changé après son forfait.

Audition de Pierre Lafont par le juge de paix, 5 avril 1881

Pierre Lafont, âgé de soixante dix sept ans, cultivateur demeurant au Rouvereau commune de Saint Méard …

Samedi dernier, jour de foire à Linards, à la nuit tombante, je quittai Linards après m’être arrêté chez un nommé Piarrou pour acheter des socques ; j’avais sur moi une somme de quatre vingt dix francs en quatre louis de vingt francs, deux pièces de cinq francs, le tout enfermé dans une petite bourse tricotée. Cette somme provenait de la vente d’un veau que m’avait acheté le gendre de Debette de Moussanas. Avant de quitter Linards, je m’étais arrêté un moment chez Sautour avec ce dernier et son enfant âgé de dix ans environ. Nous bûmes ensemble deux bouteilles de vin ; je n’avais bu avec personne plus et je n’étais pas ivre. Je ne sais si le sieur Léonard Couade avait connaissance de la vente du veau, mais il pouvait s’en douter, en voyant les cordes que je portais. Je n’ai pas remarqué s’il était chez Sautour au moment où je buvais avec le gendre de Debette qui me paya pendant que nous buvions ensemble. Je partis seul de chez Sautour ; arrivé à environ huit cent mètres de Linards, sur la route de La Croisille, au moment où je venais de passer au petit pont, je trouvai tout à coup devant moi le sieur Léonard Couade, taillandier à Echizadour, qui m’accosta en me disant :  " Père Lafont, je vais vous conduire chez vous ; nous allons trouver devant nous Jean Deghuilhem. " En même temps, il essaya de me fouiller ; quand je vis qu’il cherchait dans mes poches, je criai : " Jean, au secours ! au voleur ! " Il me mit alors la main sur la bouche et en même temps me frappa avec son poing à la tête et me renversa et m’étourdit. A partir de ce moment-là, je perdis connaissance et n’eus plus conscience de ce qui se passait. Je restai sur place sans connaissance je ne sais combien de temps. Lorsque je revins à moi, je me traînai comme je pus jusqu’à la maison de la nommée Madelon, qui est à environ quarante à soixante mètres de l’endroit où j’avais été arrêté. Il était environ dix heures du soir. Au moment où Couade m’a accosté il était vêtu d’une blouse ; je ne puis dire de quelle couleur. Je crois être sûr qu’il avait un chapeau noir. Je ne remarquai pas s’il avait à la main une arme quelconque ou un bâton. Je crois bien avoir rencontré quelqu’un de connaissance au moment de mon départ mais je ne puis m’en rappeler, tellement je suis étourdi de ce qui m’est arrivé. Aussitôt après avoir acheté mes socques, je suis parti sans m’être arrêté nulle autre part. je ne puis encore une fois préciser l’heure ; mais la nuit était presque arrivée. Dès que j’eux repris connaissance, mon premier soin fut de chercher dans mes poches, et je reconnus qu’il m’avait volé une bourse et un couteau et ma tabatière était restée sur place, cassée en morceaux. J’ai entendu dire depuis que le sieur Pautou, meunier à Ligonat, aurait entendu dire que Couade avait changé d’habits, le soir, chez Villetelle.

Lecture faite … ne sait signer.

Pierre Lafont, qui craint pour sa vie et a demandé les secours de la religion, réitère ses accusations devant Léonard Couade au cours d’une confrontation organisée par le juge deux jours plus tard.

Audition de Pierre Lafont par le juge d’instruction, 7 avril 1881

Lafont Pierre, âgé de 77 ans, cultivateur demeurant au village du Rouvereau, commune de St Méard, trouvé couché dans son lit … dépose :

Je persiste dans la plainte que j’ai porté à M. le juge de paix de Châteauneuf et dont vous venez de me donner lecture. Elle est l’expression de la vérité.

J’avais vendu, le samedi 2 avril, à la foire de Linards, à Piquet de Mousssanas, un veau que lui conduisis dans la cour de l’auberge Sautour. Il m’en paya le prix s’élevant à 95 fr sur une table de l’auberge en 4 pièces de 20 fr et 3 de 5 francs. Après livraison de la bête, je mis les cordes à mon bras selon l’usage. je bus chez Sautour avec Piquet et son petit garçon âgé de 10 ans environ, deux litres de vin. En sortant, je me rendis chez le nommé Piarrou, sabotier à Linards, où j’achetai une paire de socques. Il m’offrit une goutte qui me porta un peu à la tête.

Je partis alors pour revenir chez moi. J’avais à peine dépassé le petit pont situé sur la route à peu de distance de Linards, lorsque je fus accosté par Couade le faure (taillandier) d’Echizadour. il me dit " Père Lafont, je vais vous conduire chez vous, Deguillem (Arnaud) est là devant nous, nous allons le rejoindre ". Au même instant il me sait à bras le corps, et je le sentis mettre une main dans la poche de mon pantalon " Que me fais-tu ? " lui demandai-je. " Vos poches sont pleines de miche " me répondit-il ; je compris qu’il voulait me fouiller et me mis à crier " Au voleur ! a l’assassin ! " Il me serra fortement le corps, de telle façon que mon côté me fait encore très mal. C’est un individu très robuste ; m’entendant crier, il me mit sa main sur la bouche, me porta deux coups violents qui me firent tomber à la renverse et m’étourdirent. Je perdis alors connaissance.

Il paraît qu’une petite fille de chez la Madelon du Puy de Linards a entendu lorsqu’il me frappait.

Je n’ai commencé à crier que lorsque j’ai senti Couade fouiller dans mes poches. C’est alors seulement qu’il s’est mis à me frapper. J’étais jusque là en très bons termes avec lui, deux fois je lui ai prêté mon âne, je lui avais donné un chêne pour la construction de sa maison. C’est un misérable de m’avoir tué pour voler mon argent.

Sur interpellation :

Je vous affirme que c’est bien Couade le faure d’Echizadour qui m’a frappé et volé ; malgré la nuit, je l’ai très bien distingué, j’ai reconnu sa voix, comme je reconnaîtrais celle de ma femme.

D. – Couade soutient ne vous avoir ni frappé ni volé et ne vous avoir même pas vu le jour en question.

R. – Il dit cela, le misérable ! … j’aurais bien préféré ne pas le rencontrer … ! Je ne l’ai bien que trop vu !

D. – Soutiendriez-vous en sa présence ce que vous venez de me raconter ?

R. – Oui, je le soutiendrai, je ne craindrais pas de le lui dire.

D. – Voulez-vous malgré votre état de maladie, qu’il soit confronté avec vous ?

R. – Est-ce qu’il est là le faure ? Oui, je veux être confronté avec lui.

Confrontation

A l’instant nous faisons introduire dans la chambre du témoin l’inculpé Couade qui se place en face de son lit.

Lafont tout agité qu’il était pendant sa déposition, était resté étendu dans son lit, la tête appuyée sur son oreiller. A la vue de Couade il met aussitôt sur son séant et avant que nous ayons rien dit, l’interpelle spontanément ainsi :

" Ah ! coquin, que m’as-tu fait ! … Dans quel état m’as-tu mis ! … "

Couade : " Père Lafont, père Lafont, vous vous trompez … "

Lafont : " Rien qu’au son de ta voix je te reconnais … Oh coquin, tu m’as tué … "

Couade : " Mais écoutez … vous m’avez pris pour un autre. "

Lafont : " Non, c’est toi, coquin, c’est toi … "

Couade : " Mais laissez-moi vous parler … "

Lafont : " Parle coquin … parle … ce n’est pas toi qui m’a frappé ? ! "

Couade : " Non, ce n’est pas moi, vous m’accusez faussement. "

Lafont : " Non, je ne t’accuses pas faussement … je me suis confessé ; on m’a porté le Bon Dieu … je dis la vérité … je n’accuse personne que toi. "

Couade : " Vous n’avez pu voir qui vous a frappé, il faisait trop obscur. "

Lafont : " C’est toi coquin, tu m’as dit : Père Lafont, je vais vous conduire chez vous, et au même moment j’ai senti que tu fouillais dans mes poches. C’est alors que j’ai crié A l’assassin et que tu m’as assommé. "

Couade : " Un autre vous a frappé, mais ce n’est pas moi ; ne m’accusez pas sans être sûr que je suis coupable.

Lafont : " Oui c’est toi coquin, ce n’est pas d’autre que toi, regarde ce que tu m’as fait "

En ce moment le témoin enlève le linge recouvrant la blessure qu’il a sur la tête.

Couade : " D’après ce qu’on raconte, vous étiez depuis 5 heures du soir complètement ivre, tellement qu’à neuf heures vous n’aviez pas encore parcouru 1 kilomètre. "

Lafont : " Etait-ce une raison pour m’assommer, coquin ! "

Couade : " Vous aviez, paraît-il, dépensé 5 francs en consommations dans les auberges. "

Lafont : " Je n’ai dépensé que 27 sous. "

Couade : " Vous aviez dit cependant que vous aviez dépensé plus de cinq francs. "

Lafont : "  Parce que j’ai acheté une paire de socques. "

Couade : " Du reste c’est votre habitude de vous griser ; combien de fois  vous a-t-on reconduit chez vous complètement saoul ?"

Lafont : " C’est possible ; mais personne ne m’avait frappé. On raconte bien que le soir tu as changé de vêtements, que les tiens étaient tachés de sang. "

Couade : " Voyez ma blouse, celle que j’avais ce jour-là, est-elle tachée de sang ?

Lafont : " J’aurais eu cent mille francs sur moi que je n’aurais pas craint de coucher avec toi. "

Couade : " Vous pouviez le faire … sans preuves, vous faites arrêter un père de famille comme moi, qui laisse ses enfants dans la misère ! "

Lafont : " Mais c’est toi qui m’as assommé, coquin, c’est bien toi ! "

Couade : " Vous le dites sans le savoir. "

A ce moment nous déclarons la confrontation terminée et donnons l’ordre aux gendarmes de faire sortir l’inculpé. Ce dernier s’approche de Lafont et lui tend la main ; Lafont éloigne la sienne et d’un geste exprime le refus de la lui donner.

Après lecture chacun persiste dans sa déposition et déclarent ne savoir signer, nous signons avec le commis greffier.

Le juge de paix communique les résultats de ce début d’enquête au juge d’instruction de Limoges, avec les renseignements qu’il a réunis sur Léonard Couade maintenant inculpé.

Rapport du juge de paix

Monsieur le juge d’instruction,

Les heures de départ du courrier pour Limoges sont modifiées depuis le 1° mai, ce que j’ignorais : 4 heures au lieu de 9 heures du soir, aussi m’a-t-il fallu renoncer hier à entendre deux témoins au reste insignifiants. Je reçois à l’instant la dépêche de M. le procureur de la République me demandant de recevoir la déposition de Roux de Puy Guillaume (La Croisille) et je vais … immédiatement … vous l’adresser ce soir … vous adresser les trois boutons provenant du gilet de Lafont. J’ai prié M. le maire de Linards de les faire prendre et de me les adresser pour que je vous les transmette. Les deux personnes qui nous ont accompagné sur le lieu du crime sont Arnaud et Bourdaud. La contradiction entre Amouroux et Reilhac a persisté même après leur confrontation ; je crois toutefois qu’il y a lieu de croire beaucoup plus à la véracité de la déposition d’Amouroux qu’à celle de Reilhac ; ce dernier se grise souvent, surtout les jours de foire paraît-il et a … paru … du reste improviser un peu sa déposition.

Couade inculpé à quitté Châteauneuf depuis environ 6 ou 7 ans, époque où il s’est marié. Il appartient à une honnête famille d’artisans. son père qui est forgeron est un ouvrier laborieux qui n’a cessé de travailler pour élever une assez nombreuse famille. Couade est resté un certain temps domestique chez le sieur Glangeaud boucher à Châteauneuf et là paraît-il il n’a pas toujours fait preuve de … intérêts. Il est revenu ensuite chez son père où il a appris son état de forgeron et il ne l’a quitté qu’à l’époque de son mariage. Depuis qu’il habitait St Méard il semblait bien tiré d’affaire. Il était estimé des gens de sa commune qui ont tous été très surpris de l’accusation qui pesait sur lui. Tout le monde par exemple s’accorde à reconnaître qu’il avait de malheureuses habitudes d’ivrognerie, et que quand il était ivre il était d’une extrême violence.

Veuillez accepter …

Tableau des renseignements sur le nommé Couade Léonard, prévenu de vol qualifié

Etat civil : Couade Léonard, 27 ans, étant né le 19 mars 1854 à Châteauneuf la Forêt, fils légitime de Léonard et de Pasqualet Jeanne, marié, deux enfants légitimes

Antécédents : néant au casier

Profession : forgeron, réparation d’outils d’agriculture, ferrage des bestiaux ; chef et propriétaire de son atelier

Domicile : village d’Echizadour commune de St Méard, n’a jamais quitté le département

Ne sait ni lire ni écrire

Face aux accusations de Pierre Lafont, la défense de Léonard Couade est affaiblie par les contradictions apparaissant dans ses interrogatoires successifs : il prétend d’abord être resté après la foire dans les deux auberges Sautour et Vielletelle, avant de suivre chez eux les tuiliers de Montaigu, mais il est contredit par certains témoins qui l’auraient vu en même temps que Lafont sur la route de Linards à la Croisille. Il admet alors avoir bien suivi la même route que la victime à la même heure, mais ne l’avoir pas rencontré. Au moment de l’attentat il aurait été couché, ivre, dans le fossé puis serait revenu à Linards, à l’auberge Sautour, à celle de Villetelle avant d’aller à Montaigu, village limitrophe de Linards et Saint Méard, puis de rentrer à Echizadour.

Interrogatoire de Léonard Couade, 6 avril 1881

Léonard Couade, âgé de vingt six ans, forgeron demeurant à Echizadour commune de St Méard

Mon père s’appelle Léonard Couade, ma mère Jeanne Bordas est décédée. Je suis né au Breuil commune de Châteauneuf, je suis marié, j’ai deux enfants, je ne sais ni lire ni écrire, je n’ai subi aucune condamnation.

D. Vous êtes inculpé d’avoir, dans la soirée du deux courant, commis une agression sur la personne de Pierre Lafont, marchand de veaux demeurant au Rouvereau commune de St Méard, de l’avoir frappé, le laissant sans connaissance sur la route et de l’avoir dépouillé notamment d’une somme de quatre vingt quinze francs.

R. Je nie formellement non seulement de ne pas l’avoir arrêté et volé, mais encore ne pas l’avoir vu ce jour-là.

D. Rendez nous compte de la manière que vous avez passé votre soirée à Linards.

R. J’étais chez Jacquet aubergiste vers les quatre ou cinq heures du soir, j’y trouvai le sr. Arnaud dit Guilhem, colon de M. Mounier et Bardaud colon à Echizadour, nous sortîmes ensemble de chez Jacquet pour nous en aller étant tous les trois du même village. Arrivés devant chez Sautour vers les cinq heures ou cinq heures et demie, Arnaud proposa d’entrer boire une autre bouteille, ce que nous fîmes. Nous bûmes tous trois ensemble une ou deux bouteilles de vin. Je ne sais si Lafont se trouvait à ce moment-là chez Sautour, mais je ne le vis pas. Nous sortîmes tous les trois encore de chez Sautour pour nous en aller, il était à peu près nuit. Arrivés à environ trois cent mètres sur la route qui va à la Croisille, je les laissai et me couchai dans le fossé sans les [en avertir] ils ont parfaitement vu quand je me suis couché et il paraît qu’un individu, je ne sais lequel, passant alors aurait dit : " Tiens voilà le faure d’Echizadour couché dans le fossé ".

D. Mais hier, au moment où je suis arrivé chez vous et où je vous ai fait […] vous m’avez répondu à deux reprises devant M. Ferlaud qu’en sortant de chez Sautour vous étiez allé directement chez Saupiquet, sans vous arrêter nulle part ni parler à personne ?

R. Je ne sais pourquoi je ne vous ai pas dit que j’avais accompagné Bartaud et Arnaud et que je m’étais couché dans le fossé, j’étais surpris sans doute et n’y pensai pas sur le moment.

D. Vous l’avez dit hier soir qu’en quittant Arnaud et Bardaud, vous aviez dit à Arnaud que vous les quittiez parce que vous aviez besoin de parler au tuilier et vous venez de me dire tout à l’heure que vous les aviez laissé sans rien leur dire et vous coucher dans le fossé.

R. Je ne me rappelle pas si je leur ai dit quelque chose ou si je ne leur ai rien dit ; je ne sais combien de temps je suis resté dans le fossé. J’affirme ne pas avoir rencontré le père Lafont à ce moment-là sur la route, ni de toute la soirée. Je revins chez Sautour après m’être relevé du fossé, il pouvait être environ huit heures à huit heures et demie, j’étais resté environ demi-heure dans le fossé. Je rentrai chez Sautour dans la cuisine, j’y trouvai [plusieurs] personnes, le sr. Chaize demeurant à Linards, demeurant à Linards chez Boulège avec lequel je causai, je ne me rappelle pas si j’y pris quelque chose, j’y restai jusqu’à neuf heures et demi du soir ; à ce moment-là je me rendis tout seul et directement chez Saupiquet ou mieux Villetelle aubergiste, j’y trouvai plusieurs personnes, entre autres Robinet, maréchal, les deux frères Sautour tuiliers à Jumeau et Tanaby de la Barraque, nous bûmes tous ensemble la goutte. Vers les dix heures nous sortîmes ensemble. Je proposai à l’aîné de venir passer chez Reineix avec moi, que je lui paierai une bouteille de cidre, mais il refusa et m’invita à aller coucher chez lui, que j’étais trop gris pour m’en aller seul, je le suivis en effet. Arrivé chez lui, comme il avait plu beaucoup nous changeâmes tous les deux de chemises et de blouses qu’il me prêta, nous bûmes encore une bouteille de cidre et une bouteille de vin et j’allai me coucher dans la barge. Le lendemain matin je repartis, laissant ma chemise qui y est encore et j’emportai ma blouse. Avant la foire de Linards j’avais une somme de onze francs, sur laquelle je dépensai huit francs, en sorte qu’il ne me restait que trois francs. Hier j’ai reçu en outre de Pierre Nony de [chez Jartaud] la somme de un franc soixante quinze centimes, et deux francs de [Magnaraud] de Sautour le Petit, j’ai pris hier cinq francs en quittant la maison, en sorte qu’il restait à peine quelques sous à ma femme.

***

Interrogatoire de Léonard Couade, 7 avril 1881

Couade Léonard, âgé de 26 ans, taillandier forgeron, né à Châteauneuf le 19 mars 1854, fils de Léonard et de Pasqualet Jeanne

D. Vous êtes inculpé d’avoir, dans la nuit du 2 au 3 avril 1881, sur le territoire de la commune de Linards, soustrait frauduleusement une certaine somme d’argent au préjudice du nommé Lafont de la commune de St Méard, avec les circonstances aggravantes de violences ayant laissé des traces de blessure, de nuit et de chemin public.

R. Je nie non seulement avoir frappé Lafont et lui avoir rien soustrait, mais même encore l’avoir vu le deux avril ni la nuit suivante.

D. Lafont lui-même déclare que vous l’avez abordé et lui avez proposé de l’accompagner, puis il s’est aperçu que vous cherchiez à le fouiller et a appelé du secours ; c’est alors que, pour l’empêcher de crier, vous l’avez frappé avec une telle brutalité, qu’il est tombé à la renverse, étourdi et atteint à la tête d’une grave blessure.

R. Je ne peux l’avoir frappé puisque je ne l’ai pas vu.

D. Dès le 1° moment Lafont, sans hésiter vous a accusé d’être l’auteur de l’agression dont il a été victime ; il n’a jamais varié dans ses déclarations.

R. Il était complètement ivre et ne peut savoir qui l’a frappé. Il m’accuse au hasard.

D. Persistez-vous à nier avoir vu Lafont le samedi 2 avril courant, ni dans la journée ni dans la soirée ?

R. Oui, monsieur, j’y persiste.

D. Le témoin Arnaud déclare que lui, Bardaud et vous voyagiez de concert lorsque vous avez rencontré Lafont qui, rebroussant chemin, revenait à Linards. Vous avez alors laissé vos compagnons continuer leur route et, sans rien leur dire, êtes resté avec Lafont. Arnaud vous a parfaitement entendu lui dire ; " Venez, père Pierre, c’est moi qui vous amènerai ".

R. Il ne peut le dire car je n’ai pas parlé à Lafont et ne l’ai pas vu.

D. Arnaud déclare aussi que, quelques instants après votre arrêt en compagnie de Lafont, lui Arnaud et Bardaud ont été rejoints par les deux frères Bourandy et le nommé Ruchaud et que ces derniers lui ont dit avoir rencontré Pierre Lafont et vous, vous trouvant ensemble non loin du pont.

R. Ils ont pu me voir couché à terre, mais ils ne m’ont pas vu en compagnie de Pierre Lafont.

D. Votre système de tout nier d’une manière absolue prouve votre mauvaise foi et votre culpabilité. Le père Lafont, votre victime, vous a parfaitement reconnu, Arnaud vous a laissé avec lui sur la route et vous a parfaitement entendu l’interpeller par son nom : " Pierre Lafont " ; les deux frères Bourandy et Ruchaud vous ont rencontré vous trouvant ensemble et vous persistez à nier avoir même vu Lafont dans la soirée du deux avril ?

R. Je ne peux reconnaître l’avoir vu puisque ce n’est pas.

D. Pourquoi le père Lafont vous accuserait-il faussement ?

R. Il était ivre et m’a pris pour un autre.

D. Non seulement malgré l’obscurité de la nuit, il a pu vous voir puisque vous le joigniez, mais encore il vous a entendu lui parler, l’appeler par son nom ?

R. Il n’a pu m’entendre.

D. Avait-il, avant le fait dont il se plaint, quelque motif de vengeance contre vous ?

R. Non, monsieur, je ne lui en connais pas.

D. Serait-ce aussi par malveillance à votre égard que les témoins déclareraient faussement vous avoir vu en compagnie de Lafont ?

R. Non, monsieur, c’est parce qu’ils se trompent.

D. Vous étiez pris de boisson ; mais nullement au point de ne pouvoir marcher et de tomber à terre. Vos compagnons de route Bardaud et Arnaud ne vous ont point vu vous coucher dans le fossé, les deux frères Bourandy et Ruchaud qui vous ont rencontré quelques instants après que vous avez eu quitté Arnaud et Bardaud vous ont parfaitement vu debout et non couché ?

R. Je vous affirme que je me suis couché dans le fossé.

D. Vous avez d’abord déclaré à deux reprises à M. le juge de paix qu’en sortant de l’auberge Sautour, vous étiez allé directement à l’auberge Villetelle (Saupiquet), cachant que vous étiez parti avec Arnaud et Bardaud et aviez suivi la route de la Croisille pendant 1 kilomètre environ ?

R. Je n’ai pas songé à le dire sur le moment.

D. Vous avez aussi déclaré en premier lieu à M. le juge de paix avoir dit à Arnaud et Bardaud que vous les quittiez parce que vous aviez besoin de parler au tuilier et à la suite des dénégations de ces deux témoins, vous avez reconnu que vous les aviez quitté sans rien leur dire ? C’est qu’en effet le vrai motif de votre arrêt inopiné a été le projet que vous avez aussitôt formé, à la vue de Lafont ivre et rebroussant chemin sur Linards, de rester seul avec lui pour l’attaquer et le détrousser. Ce projet funeste, vous ne pouviez le révéler à vos compagnons.

R. Je me suis arrêté uniquement parce que j’étais ivre et que je suis tombé dans le fossé.

D. Pourquoi une fois relevé du fossé, s’il est vrai que vous y soyez tombé, êtes-vous revenu à Linards au lieu de continuer votre route pour rentrer chez vous, commune de St Méard ?

R. C’était pour parler au tuilier Sautour et puis on ne sait pas bien ce qu’on fait quand on est soûl.

Lecture faite … ne sait signer.

***

Rapport de gendarmerie du 7 avril

Nous soussignés Riché César brigadier à cheval à la résidence de Châteauneuf …

Rapportons que hier six courant, conduisant le nommé Couade Léonard, arrêté comme inculpé de vol, coups et blessures, nous trouvant momentanément seul avec lui, l’interpellant au sujet d’un nommé Louis Amouroux, ancien colon de M. Brugard et lui demandant s’il avait vu ce dernier le 2 courant soit à la foire de Linards soit le soir sur la route de St Méard, il répondit qu’il ne savait ce qui je voulais parler, qu’il ne connaissait nullement Amouroux ; lui ayant dit que ce dernier avait du lui parler ledit jour il répondit de nouveau qu’il ne connaissait pas Amouroux.

Aujourd’hui 7 avril ayant été confronté avec le sus nommé, il déclare connaître Amouroux depuis longtemps, sans cependant avouer qu’il l’avait rencontré le 2 courant.

Lui ayant demandé pourquoi la veille il m’avait affirmé ne pas connaître ledit Amouroux, il répondit qu’il ne savait alors de qui je voulais parler.

En foi de quoi nous avons dressé le présent procès verbal …

****

Interrogatoire de Léonard Couade, 4 mai 1881

Couade Léonard, âgé de 26 ans, taillandier forgeron né à Châeauneuf le 19 mars 1854, fils de Léonard et de Pasqualet Jeanne

D. Vous nous avez dit que vous aviez retroussé chemin et que vous étiez revenu à Linards pour parler au tuilier Sautour ; qu’aviez-vous à lui dire ?

R. Lui devant de l’argent, je voulais le prévenir que, n’en n’ayant pas, je ne pouvais lui en donner et que je lui en verserais lorsque j’aurais réglé mon compte avec M. Mounier propriétaire à St Méard. En effet je lui dis cela à l’auberge Villetelle. Il me répondit " Tu me donneras de l’argent quand tu pourras ".

D. Sautour ne se rappelle point que vous lui ayez dit ce que vous rapportez.

R. Je vous affirme le lui avoir dit ; comme il était un peu pris de boisson, peut-être l’a-t-il oublié.

D. Au moment où vous avez rebroussé chemin vous deviez supposer que Sautour était parti et que vous ne l’y trouveriez pas.

R. Je savais que Sautour ne part de l’auberge qu’à la fermeture c’est à dire à 10 heures les jours de foire.

D. Au moment où Amouroux vous a accosté, vous étiez avec Roux, que lui-même venait de vous rencontrer, vous étiez debout et près de vous se trouvait le père Lafont couché dans le fossé.

R. … je ne me rappelle pas que Roux m’ait parlé, il est vrai que j’étais pris de boisson.

Lecture faite … ne sait signer

Les thèses du plaignant et de l’accusé ne s’appuyant sur aucun élément matériel probant (une tache de sans et des boutons de gilet sur le bord de la route, la blouse de Couade changée, l’argent du vol non retrouvé), c’est par l’audition de nombreux témoins que le juge d’instruction tente de reconstituer les faits survenus sur la route de Linards à la Croisille le soir de la foire du 2 avril. Les gendarmes ont déjà interrogé une dizaine de personnes pour le juge de paix le 6 avril, quatre jours après l’événement.

Rapport de gendarmerie – 6 avril 1881

Riché César, brigadier et Laprade Jean, gendarme à cheval à la résidence de Châteauneuf,

Rapportons qu’informés par Monsieur le juge de paix qu’une attaque sur la voie publique suivie de vol avec violence avait été commise sur la personne du nommé Lafond Pierre, âgé de 74 ans, né le 23 juillet 1807 à La Porcherie, fils de feu Pierre et de feue Marie Roux, propriétaire au Rouveros commune de St Méard, et que l’auteur présumé était le nommé Couade Léonard, âgé de 26 ans, forgeron à Echizadour commune de St Méard, né le 19 mars 1854 à Châteauneuf, fils de Léonard et de feue Jasquolet Jeanne Jeanne, nous nous sommes rendus à St Méard au domicile du nommé Lafond Pierre, lequel nous avons trouvé au lit portant une forte blessure au dessus du front (côté droit). Des marques bleuâtres se font remarquer sur les mains, il nous a déclaré que le 2 courant vers 10 heures du soir, se trouvant sur le chemin n°12 près du pont de Linards, il fut accosté par le nommé Couade, lequel lui dit : Père Lafond, je vais vous conduire chez vous, et en même temps il chercha à le fouiller. Quand il vit cela il cria Jean au secours, au voleur. Il lui mit la main sur la bouche et e même temps il lui donna un coup sur la tête qui l’étourdit et le renversa, il perdit connaissance et ne sait ce qui se passa, il ne sait non plus combien de temps il resta dans cette position lorsqu’il revint à lui il se traîna jusque près de la maison de Madelon, 40 ou 60 mètres environ de l’endroit où il a été renversé. Ledit Couade était vêtu d’une blouse et croit être sûr qu’il était coiffé d’un chapeau. Il ne sait si celui-ci avait une arme ou un bâton à la main. Son premier soin fut de chercher dans ses poches et reconnu qu’on lui avait volé 90 francs composés de quatre pièces de 20 francs et de deux de cinq francs renfermés dans une bourse en tricot ; cette somme provenait de la vente d’un veau, plus un couteau, sa tabatière ayant été trouvée cassée sur place.

Le nommé Arnaud Jean, âgé de 41 ans, colon au Rouveros de St Méard, déclare que le 2 courant vers 6 heures du soir il rencontra devant chez Sautour le nommé Couade, lequel l’engagea à boire ; ils entrèrent et burent une bouteille de vin ; à côté d’eux se trouvait les nommés Bardeau père et fils, ils restèrent environ une heure et partirent accompagnés desdits Bardeau. A 800 mètres environ de cette auberge au delà du petit pont ils rencontrèrent le père Lafond auquel ils demandèrent s’il voulait les suivre, il répondit que sa famille lui avait fait des misères, qu’il voulait se noyer. Bardeau répondit " l’eau est trop froide ". Au moment de se rencontrer avec Lafond, Couade était resté en arrière et nous rejoignit au moment où nous quittions le père Lafond, Couade resta avec ce dernier auquel il dit " venez père Lafond c’est moi qui vous emmènerait. Ils continuèrent leur route et furent rejoints par les nommés Ruchaud et Bourandi auxquels ils demandèrent s’ils n’avaient pas rencontré Couade et Lafond. Ils répondirent qu’ils étaient arrêtés à côté du pont et continuèrent leur route. Le lendemain, apprenant que Lafond avait été battu et volé, ses soupçons se portèrent sur ledit Couade.

Le nommé Léonard Bonnefond, âgé de 44 ans, charron à la Chabassière commune de St Méard déclare que le 2 courant vers 9 heures du soir, venant de la foire en compagnie de la nommée Madelon, arrivés à 200 mètres au delà du petit pont, presque à côté de la maison d’un nommé Reilhac, il entendit appeler au secours. Il s’approcha et à l’aide d’une lanterne qu’il avait à la main il vit le père Lafond à genoux, auquel il demanda ce qu’il avait et il répondit " c’est ce coquin de faure d’Echizadour qui m’a volé 95 francs et qui m’a battu. " Il l’aida à se lever et aidé de la Madelon ils le conduisirent chez cette dernière, y arrivèrent, Lafond demanda un bonnet, en le plaçant sur la tête ils remarquèrent une forte blessure au dessus du front et la figure couverte de sang. Il dit plusieurs fois que c’était le faure qui lui avait fait cela. La nommée Madeleine Faucher âgée de 49 ans, épouse Faucher Léonard, domiciliée au Puy de Linards déclare que le 2 courant vers 10 h et demie du soir venant de Linards en compagnie de Bonnefond, arrivés à environ 20 mètres de la maison de Reilhac ils entendirent quelqu’un qui se plaignait sur le côté de la route. S’étant approchés, et à l’aide d’une lanterne, ils reconnurent ledit Lafond à genoux et accoudé entre deux tas de pierres ? Ayant demandé à ce dernier ce qu’il avait il répondit qu’il était bien malheureux. " le coquin a voulu me tuer et m’a volé mon argent. " Qui ? demandèrent-ils. " c’est ce coquin de faure d’Echizadour qui m’a volé 95 francs " et ils le conduisirent chez elle où elle le coucha sur une paillasse faute de lit. Elle lui leva la tête et remarqua une forte blessure au dessus du front comme il avait la figure couverte de sang elle ne remarqua pas d’autre blessure. Ledit Lafond répète plusieurs fois que le faure d‘Echizadour l’avait battu et lui avait volé 95 francs et que Couade était seul, que ce dernier avait commencé par le flatter et qu’il avait du laisser sur place son chapeau, ses cordes, ses socques, son couteau et sa tabatière.

Le nommé Reilhac Léonard, âgé de 68 ans, propriétaire au Puy de Linards déclare que le 2 courant vers 9 heures du soir, se trouvant sur le chemin n°12 à 700 mètres environ de Linards il remarqua dans le fossé du côté gauche deux individus, l’un cherchant à lever l’autre, il s’arrêta et reconnu l’un pour être le nommé Louis Amouroux domicilié à La Croisille, lequel vint vers lui en disant " c’est Pierre du Rouveros qui se trouve dans le fossé, vous devriez le conduire chez vous " Il répondit qu’il n’avait ni lit ni paille pour le faire coucher. Amouroux le suivit en disant que le faure était devant, qu’il voulait le rejoindre. Reilhac apparut en effet quelqu’un à 50 mètres environ sans dire de quel faure il voulait parler. Ledit Amouroux le quitta en face de chez lui ; une demi heure après, étant couché, il entendit du bruit ; sa femme lui ayant dit que l’on conduisait une homme chez la Madelon, et ayant entendu des plaintes il supposa que c’était Lafond, il ignorait alors que celui-ci fut blessé. Le lendemain il apprit de Faucher, époux de la Madelon que Lafond avait été volé et battu la veille par le faure d’Echizadour. Il dit de plus avoir vu Couade devant l’auberge Sautour, mais ne pas savoir s’il y était au moment où Lafond reçut l’argent de la vente de son veau.

La nommée Ruchaud Léonarde âgée de 50 ans, femme Sautour aubergiste à Linards déclare que le 2 courant le nommé Couade était entré chez elle en deux reprises différentes, la première vers 5 heures du soir ; en ce moment il resta assez longtemps, il sortit et revint vers huit heures avec Arnaud dit Guilhem, elle ne peut dire si Bardeau buvait avec eux. C’est Guilhem qui paya, ils sortirent avec Bardeau vers neuf heures et elle ne les revit aucun ce jour-là et affirme que Couade n’est pas rentré chez elle, car s’il en demandait une goutte, elle ou ses filles s’en souviendraient , elle croit bien que Couade se trouvait chez elle au même moment que Lafond, sans pouvoir l’affirmer ; elle ignorait aussi que ce dernier eut touché chez elle l’argent du veau.

Le nommé Villetelle Léonard, âgé de 46 ans, aubergiste à Linards, déclare que le 2 courant entre neuf heures 1/2 et 9 ¾ du soir le nommé Couade est entré chez lui seul, s’est attablé avec les nommé sautour frères, ils burent ensemble deux petits verres, Couade en but un autre seul qu’il paya 15 centimes qu’il sortit de sa poche ; à dix heures il sortit en compagnie desdits Sautour.

Le nommé Sautour Gabriel âgé de 40 ans, tuilier à Montaigu commune de Linards déclare que le 2 courant étant chez Villetelle vers neuf heures du soir il vit entrer le nommé Couade avec qui il but deux petits verres, ils sortirent ensemble de l’auberge. Comme il pleuvait il insista et conduisit celui-ci chez lui ; arrivé à son domicile il donna une chemise et une blouse audit Couade, lequel changea aussitôt et alla se coucher dans la barge. Le lendemain matin celui-ci partit, laissant sa chemise mais emportant sa blouse mouillée sous le bras. Le lundi matin il vint chez lui en disant qu’on l’accusait d’avoir donné des coups et volé Pierre Lafond, de défendre de laver la chemise qu’il avait laissé chez lui.

Ledit Couade déclare que le 2 courant il avait mangé chez Jacquet, aubergiste à Linards, vers cinq heures du soir il était entré dans l’auberge Sautour en compagnie des nommés Arnaud et Bardeau, ils burent ensemble deux bouteilles de vin ; il ne sait pas si le nommé Lafond s’y trouvait en ce moment, ne l’ayant pas vu ; quand ils sortirent tous trois de cette auberge il était nuit tombante. Arrivés à trois cent mètres environ de Linards il laissa ceux-ci et se coucha dans le fossé où il resta une demi heure environ, il revint chez Sautour, il pouvait être huit heures ou huit heures et demi il trouva un nommé Chaize de Linards dans la cuisine, il resta dans cette auberge jusqu’après neuf heures. En sortant il fut chez Villetelle où il rencontra entre autres les nommés Sautour frères avec qui il bu. Vers dix heures il sortit en leur compagnie et proposa à autour aîné de passer avec lui chez Reineix, qu’il paierait bouteille. Celui-ci refusa en l’invitant à aller coucher chez lui, il suivit ce dernier. Arrivés chez Sautour, comme il avait plu ce dernier lui donna une chemise et une blouse qu’il endossa. Il burent ensuite une bouteille de cidre et une de vin, et se coucha dans la barge. Le lendemain matin il partit, laissant la chemise qu’il avait quitté la veille, emportant la blouse mouillée sous son bras. Il avait onze francs avec lui en arrivant à Linards ; il dépensa huit francs et nie énergiquement avoir battu et volé Lafond, n’avoir pas vu celui-ci à Linards ni sur la route n°12. après son enquête et avoir interrogé ledit Couade, Monsieur le juge de paix nous a requis de procéder à l’arrestation de ce dernier.

En foi de quoi …

Le juge d’instruction vient sur place les 6 et 7 avril, interroge à nouveau lui-même tous les témoins et dresse un remarquable plan des lieux synthétisant les diverses dépositions.

Transport de justice les 7 et 8 avril 1881

Procès verbal d’information et de constat des lieux

L’an 1881 le jeudi 7 avril,

Nous Victor Rogues de Fursac, juge d’instruction de l’arrondissement de Limoges,

Assisté de m° Jean Lazare G., commis greffier,

Accompagné de M. Etienne Meynieux, substitut …,

Requis d’informer contre le nommé Couade Léonard âgé de 26 ans, forgeron taillandier demeurant au lieu dit de l’Echizadour, commune de St Méard, canton de Châteauneuf, inculpé d’avoir, dans la nuit du 2 au 3 avril 1881, sur le territoire de la commune de Linards, soustrait frauduleusement une certaine somme d’argent au préjudice du nommé Lafond de la commune de St Méard, avec les circonstances aggravantes de violences ayant laissé des traces de blessures, de nuit et de chemin public,

Nous sommes transportés au chef lieu du canton de Châteauneuf.

Transport à Châteauneuf

Où étant arrivés, nous avons conféré aussitôt avec monsieur le juge de paix de ce canton au sujet de ladite affaire et pris communication de l’information faite par lui à la date d’hier. Nous avons ensuite procédé à l’interrogatoire de Couade Léonard, détenu en ce moment à la chambre de sûreté de Châteauneuf et décerné mandat de dépôt contre lui.

Transport au Rouvereau commune de Saint Méard

Nous nous sommes ensuite rendus au village du Rouvereau commune de St Méard, où habite Lafond Pierre, victime du vol et des coups et blessures imputés à Couade Léonard, afin de recevoir la déposition dudit Lafond et de le confronter avec l’inculpé ; à cet effet nous y faisons conduire ce dernier en voiture sous bonne escorte.

Aussitôt arrivés nous entendons Lafond Pierre, nous le trouvons couché dans son lit, la tête enveloppée d’un linge, portant aux deux poignets de fortes taches noires ressemblant à des machûres produites par une forte pression. Sa déposition reçue nous confrontons avec lui l’inculpé Couade, chacun d’eux maintient avec énergie ses affirmations et dénégations respectives.

Nos opérations terminées au village du Rouvereau, nous nous transportons au chef lieu de la commune de St Méard, à la maison commune.

Transport au bourg de St Méard

Où étant parvenus, nous procédons à l ‘audition de six témoins convoqués par nous et à la confrontation de plusieurs d’entre eux avec l’inculpé Couade.

De St Méard nous nous transportons commune de Linards au lieu dit le Puy de Linards

Transport au Puy de Linards, commune de Linards

Où étant arrivés nous entrons chez la femme Madeleine Faucher, âgée de 49 ans, épouse de Léonard Faucher, laquelle a recueilli chez elle Pierre Lafond et lui a donné l’hospitalité la nuit du samedi 2 au dimanche 3 avril courant.

Cette femme nous montre l’endroit où elle et Bonnefond de la Chabassière ont trouvé Lafond couché sur la route près d’un tas de pierres. Cet endroit est distant de la maison de Reilhac, du Puy de Linards, de vingt mètres environ et de vingt cinq mètres environ de celle de la femme Faucher.

Nous revenos immédiatement la déposition de cette dernière et nous nous rendons sur les lieux où s’est produite l’agression suivie de vol dont Lafond a été victime.

Transport route de Linards à La Croisille sur les lieux du crime

Avant d’arriver au pont qui précède la montée, théâtre du crime, Bourandy aîné et Ruchaud qui nous ont accompagné nous indiquent, à 55 mètres dudit pont, le point (B du plan), où Arnaud et Bardaud ont été rejoints par Ruchaud et les deux frères Bourandy.

Nous dépassons le pont, nous dirigeant vers Linards. M. le juge de paix et le brigadier de gendarmerie nous montrent, à 107 mètres du pont le point (du plan), où ils ont trouvé sur le macadam de la route une tache de sang de quatre ou cinq centimètres de diamètre. Cette tache a disparu à la suite des pluies de ces derniers jours.

Nous continuons à gravir la côte ; Bourandy aîné et Ruchaud nous indiquent, dans un tournant de la route, le point (D du plan) sis à 63 mètres du point C et nous expliquent que c’est en cet endroit qu’eux deux et Bourandy jeune ont aperçu debout Léonard Couade et, près de lui, couché à terre sur l’accotement de droite en descendant, un homme qu’ils ont su être Piette Lafont.

En face du point D, à 1 mètre 50 centimètres plus haut est le point (E du plan) où Roux, Amouroux, sa femme, sa nièce et Reilhac ont rencontré Couade debout et, près de lui, couché dans le fossé de gauche en descendant, Pierre Lafont du Rouvereau.

Le lendemain matin du crime, Reilhac, passant en cet endroit, remarqua que la terre du fossé était remuée et grattée et y trouva trois boutons qu’il prit pour des boutons de gilet.

Couade, présent à ces constatations et aux déclarations des témoins, interpellé par nous, affirme qu’il ne s’est point arrêté aux points D et E, qu’il n’y a point rencontré Pierre Lafont et que l’endroit où lui Couade est tombé après avoir quitté Arnaud et Bardaud, est plus rapproché de Linards.

Poursuivant notre route vers cette localité, nous trouvons, à 300 mètres du point E, le point (F du plan) où Couade, d’après ce qu’il déclare, s’est couché dans le fossé de droite en descendant, après avoir abandonné ses deux compagnons de voyage.

Du point F à l’auberge Sautour la distance est de six cent mètres.

Transport au bourg de Linards

Nous nous rendons aussitôt au bourg de Linards, à l’auberge Sautour sise à l’extrémité de ce bourg sur la route de La Croisille. Nous y procédons à l’audition de quatre témoins convoqués par nos soins.

De tout quoi nous avons fait et dressé le présent procès verbal,

Clos le huit avril 1881 …

Au cours des semaines suivantes le juge d’instruction donnera au juge de paix de Châteauneuf deux commissions rogatoires très détaillées pour faire préciser certaines dépositions et interroger encore d’autres témoins.

Commission rogatoire

Nous juge d’instruction …

Vu la procédure suivie contre Couade Léonard, 29 ans, forgeron demeurant à l’Echizadour commune de St Méard, inculpé de vol avec violences sur un chemin public,

Vu l’article 84 du code …

Donnons commission rogatoire à monsieur le juge de paix du canton de Châteauneuf à l’effet d’entendre en témoignage :

1° le nommé Piassoux, sabotier à Linards : à quelle heure le père Lafont est-il venu chez lui acheter une paire de sabots le 2 avril courant ? Etait-il ivre ou seulement un peu pris de boisson ? Le témoin ne lui a-t-il pas offert un verre de liqueur ? Quelle somme Lafont a-t-il compté pour prix des sabots ? Piassoux a-t-il vu à ce moment le contenu du porte-monnaie de Lafont ?

2° le beau-frère de Debette de Moussanas, ledit gendre [sic] acquéreur d’un veau de Lafont le 2 avril courant :

Quel prix, en quelle monnaie a-t-il payé ledit veau ? Lafont était-il gris en sortant de l’auberge Sautour après avoir bu avec son acquéreur ? Ce dernier a-t-il remarqué la présence de Couade dans la salle de l’auberge Sautour, spécialement au moment où il comptait à Lafont le prix du veau ?

3° Pautou meunier à Ligonat : a-t-il entendu dire que Couade avait changé de vêtements le soir chez Villetelle ? Dans l’affirmative, qui lui a rapporté ce fait ?

4° Tanaby de La Baraque, dont Gabriel Sautour, tuilier à Montégu commune de Linards donnera l’adresse au besoin : Que sait-il au sujet des propos tenus par Couade le 2 avril courant vers 9 heures du soir à l’auberge Villetelle, soit en sortant de cet établissement ? Couade était-il un peu gris ou complètement ivre ?

5° Gabriel Sautour, tuilier à Montégut commune de Linards : a-t-il vu le 2 avril courant à l’auberge Villetelle le soir vers 8 ou 9 heures ou à la sortie de cet établissement le contenu du porte-monnaie de Couade, l’inculpé ? Quelle somme s’y trouvait, en quelle monnaie ? Couade, qui prétend être revenu sur ses pas à Linards pour parler au tuilier Sautour, a-t-il parlé à ce dernier d’une affaire quelconque ? Dans l’affirmative, de quelle affaire ? En présence de quelle personne ? En avait-il parlé au frère de Sautour qui se trouvait avec lui ce soir-là ?

6° Sautour dit Ganaud de St Méard

7° Le métayer de ce dernier qui revenait avec lui de la foire de Linards le 2 avril courant : dans quel état ont-ils, ce jour-là, trouvé Lafont chez la femme Madelon Faucher au Puy de Linards ? Leur a-t-il dit à plusieurs reprises que le faure d’Echizadour l’avait battu et lui avait volé 95 francs ? Leur faire rapporter en détail le récit que leur a fait le père Lafont.

8° Le nommé Robinet avec lequel Sautour, Couade et autres ont bu chez Villetelle à Linards le 2 courant ; Sautour de Montégut indiquera au besoin son adresse : Couade était-il complètement ivre pendant qu’il l’a vu chez Villetelle ? A-t-il vu le contenu de son porte-monnaie ? En quoi consistait-il ?

9° Amouroux Louis, 42 ans, journalier demeurant au Puy Guillaume commune de la Croisille,

10° sa femme,

11° Jeanne dite Dady Parot, sa nièce, 16 ans, servante chez le colon de M. Mounier : faire raconter en détail à ces trois témoins comment ils ont rencontré le 2 courant, en revenant de la foire de Linards le père Lafont couché sur la route, près de lui debout Couade le faure d’Echizadour, comment est survenu le nommé Reilhac dit [maçon]. Sur quel côté de la route était couché Lafont ? N’est-ce pas dans le fossé ou sur l’accotement de gauche en quittant Linards ? Qu’Amouroux entend-il par l’air du temps ? N’est-ce pas à la lueur d’un éclair qu’il a aperçu Couade ?

12° Léonard Reilhac, 68 ans, demeurant au Puy Guillaume commune de Linards : le confronter avec chacun des trois derniers témoins sus nommés, lui faire reproduire devant eux le récit de sa rencontre de ces témoins, de Couade et de Lafont ; préciser et expliquer les points sur lesquels il est en contradiction avec eux.

Amouroux ne connaît-il pas Couade depuis plusieurs années ? Ce dernier a déclaré en premier lieu ne point connaître Amouroux ?

Commettre M. le docteur en médecine Dutheillet à l’effet d’examiner Pierre Lafont, la victime, demeurant au Rouvereau commune de St Méard, indiquer dans quel état il se trouve actuellement ; depuis quand a cessé l’incapacité de travail ? Existe-t-elle toujours ? Combien de temps durera-t-elle encore ? Quelles seront les suites des coups et blessures reçus par Lafont ? Pourra-t-il sans inconvénient pour sa santé faire le voyage de Limoges vers le milieu du mois de mai prochain ?

Prendre et fournir tous renseignements sur Couade, ses antécédents, ses habitudes de travail, sa moralité,sa probité, sa tempérance, son caractère ?

Se faire remettre par qui il appartiendra, saisir et nous adresser les trois boutons trouvés par Reilhac le 3 courant au matin dans le fossé de la route à l’endroit où Lafont était couché la veille.

Obtenir des témoins sus désignés des renseignements sur tous points autres que ceux indiqués, s’il en est à leur connaissance ; entendre tous autres témoins pouvant utilement renseigner la justice et faire le nécessaire.

Fait à Limoges le 29 avril 1881

Le juge d’instruction Roque de Fursac

***

Commission rogatoire 4 mai 1881

Nous juge d’instruction …

Vu la procédure suivie contre Couade Léonard, 29 ans, forgeron demeurant à l’Echizadour commune de St Méard, inculpé de vol qualifié …

Donnons commission rogatoire à monsieur le juge de paix du canton de Châteauneuf à l’effet d’entendre en témoignage le nommé Roux, maçon demeurant au Puy Guillaume commune de St Méard, savoir de lui à quelle heure, en quel lieu il a rencontré le nommé Couade le 2 avril dernier sur la route de Linards à La Croisille en revenant de la foire de Linards ; Couade n’était-il pas debout et n’avait-il pas près de lui couché un homme ivre qui était le nommé Pierre Lafont du village du Rouvereau ? Pendant que Roux parlait à Couade, n’a-t-il pas été rejoint par diverses personnes, notamment par Ameroux, sa femme, sa nièce ? et aussi par le nommé Reilhac ; faire raconter par le témoin tous les détails de cette rencontre, faire le nécessaire.

Limoges le 4 mai 1881,

Le juge d’instruction

Les dépositions de la vingtaine de témoins permettent en effet de reconstituer assez précisément les activités de Pierre Lafont et de Léonard Couade à partir de 18H00 dans la journée du 2 avril 1881, mais aussi l’ambiance de la foire de Linards en cette fin de siècle.

Léonard Delombre, plus connu comme " le gendre de Debette de Moussanas " (village de la commune de Châteauneuf), a acheté le veau de Pierre Lafont en fin de journée ; l’affaire s’arrose (largement) à l’auberge Sautour ; celle-ci se trouve à l’extrémité du champ de foire vers la route de la Croisille, actuellement à l’angle de la route de la Maillerie. Elle est donc fréquentée par ceux qui vont partir vers le Sud et l’Est, en direction de la commune de Saint Méard.

Audition de Léonard Delombre, 1° mai 1881

Léonard Delombre, âgé de quarante cinq ans, propriétaire cultivateur demeurant à Moussanas commune de Châteauneuf.

J’ai acheté à la dernière foire de Linards un veau à Lafont, nous sommes allés ensemble chez Sautour aubergiste vers les six heures du soir. Je lui ai payé le prix du veau avec quatre pièces en or de vingt francs chacune et trois pièces de cinq francs ; nous avons bu ensemble avec mon fils deux bouteilles de vin, après trois cafés. Nous sommes sortis ensemble vers les six heures et demi, nous n’avons pas vu Couade chez Sautour. Lafont ne m’a pas paru ivre ; il était peut-être un peu gris, mais on n’aurait pas connu grand chose. Lafont nous quitta et je ne l’ai plus revu.

Lecture faite … ne sait signer

Pierre Lafont a dit qu’il était ensuite allé acheter des socques, et que le cordonnier lui avait offert quelques verres.

François Chaize voit Léonard Couade à l’auberge Sautour entre 19H30 et 20H30, et un peu avant, donc vers 19H00, Lafont ivre prendre la route de Saint Méard.

Audition de François Chaize, 7 avril 1881

Chaize François, âgé de 58 ans, propriétaire cultivateur demeurant à Linards

Le samedi 2 avril courant à 7 heurs ½ du soir, j’allais à l’auberge Sautour avec Charles, garçon d’écurie chez Boulège à Linards, et Corne demeurant au Pont des Eaux commune de St Méard, nous y demeurâmes une heure environ. En entrant nous y trouvâmes Couade d’Echizadour qui buvait avec le nommé Deguilhem Arnaud, métayer chez M. Mounier. A peine le soleil couché, j’aperçus passant sur la route Pierre Lafont qui se dirigeait vers St Méard. Il titubait et me parut très ivre.

En quittant l’auberge, mes compagnons et moi y laissâmes Couade et Arnaud. Depuis je n’ai plus revu Couade.

Lecture faite … ne sait signer

Pierre Lafont tombe sur la route peu après avoir quitté Linards ; Jeanne Dandrieux et sa fille le voient vers sept heures secourus par Léonard Faucher, cultivateur au Puy de Linards. Allant vers le bourg de Linards avec un ami, il trouve Lafont couché par terre et le pousse simplement sur le talus, pensant le retrouver à son retour.

Rapport de gendarmerie du 22 avril 1881

Riché César, brigadier et Moidant Pierre, gendarme à cheval

Constatant de nouveaux renseignements faisant suite au PV du 4 courant relatif à un vol avec violence

Rapportons qu’étant en tournée dans la commune de Linards, avons été informé que deux femmes auraient vu le nommé Lafond Pierre, âgé de 74 ans le 2 courant vers 7 heures du soir.

Nous nous sommes rendus à leur domicile où étant les nommées Maumont Jeanne [épouse] Dandrieux Antoine et Dandrieux Marie épouse Arnaud sa fille déclarent que le 2 courant vers 7 heures du soir venant de clore un champ et passant sur le chemin n°12 ils aperçurent le nommé Faucher Léonard et un autre qu’ils n’ont pas connu, occupés à soutenir un individu paraissant pris de boisson qu’ils ont placé à trois mètres environ de la route ; ils demandèrent audit Faucher le nom de celui qu’ils transportaient ainsi, celui-ci leur répondit que c’était Lafond du Rouveraud, qu’ils le déposait là en attendant qu’il revienne de Linards où il voulait se rendre avec son camarade Chèze ; à son retour il le conduirait chez lui s’il n’était pas capable de se rendre en son domicile. Elles ajoutent que le lendemain, ayant su que ledit Lafond avait reçu des coups, elles crurent qu’il aurait bien pu se faire mal en se tournant près de pierres où il avait été déposé.

Le nommé Faucher Léonard propriétaire au Puits de Linards déclare qu’effectivement, passant en compagnie d’un nommé Ruche qui se rendait à Bordeaux, ils avaient trouvé ledit Lafond couché sur le bord de la route ; craignant quelque accident, ils ont transporté celui-ci à quelques mètres de la route, vu son état d’ivresse ; qu’il avait accompagné son camarade à Linards, croyant retrouver ledit Lafond au lieu où il l’avait laissé ; il le trouva à son domicile.

En foi de quoi nous avons rédigé le présent procès verbal …

En fait Pierre Lafont se relève et revient vers Linards avec des idées de suicide dues à l’abus d’alcool et à une mésentente avec sa famille ; il rencontre Jean Arnaud, cultivateur au Rouvereau, commune de Saint Méard, qui vient de quitter l’auberge Sautour avec Léonard Couade et rentre chez lui en compagnie de ce dernier et de Bardaud d’Echizadour. Après l’avoir dissuadé en plaisantant de son projet de noyade, mais ne voulant se charger de lui, Arnaud et Bardaud laissent Lafont en compagnie de Couade qui propose de le ramener au Rouvereau. Arnaud et Bardaud, qui savaient que Lafont portait de l’argent, craignaient précisément des ennuis si Lafont en avait perdu.

Audition de Jean Arnaud, 6 avril 1881

Jean Arnaud, âgé de quarante quatre ans, cultivateur au Rouvereau commune de St Méard

Le deux courant vers les six heures du soir, j’ai rencontré devant chez Sautour Ld. Couade. Il m’engagea à entrer boire une bouteille de vin ; nous entrâmes et nous nous mîmes à table, pendant qu’à côté de nous buvaient Bardaud avec son père, nous restâmes environ une heure, puis nous partîmes, Couade, Bardaud fils et moi. Arrivés à environ huit cent mètres de chez Sautour, en deçà du pont, nous rencontrâmes le père Lafont qui revenait vers Linards, nous lui demandâmes sil voulait venir avec nous, il répondit que sa famille lui avait fait des misères et qu’il voulait aller se noyer. Bardaud lui dit alors " L’eau est trop froide ". A ce moment de notre rencontre avec Lafont, Couade était resté environ dix pas derrière nous, je ne sais pourquoi faire, il ne nous avait rien dit, il vint au moment où le père Lafont nous quittait. Nous les laissâmes tous les deux ensemble et j’entendis Couade dire à Lafont " Venez, père Pierre, c’est moi qui vous amènerai ". Je n’entendis pas la réponse de Lafont, et nous continuâmes notre route. Cinq minutes après environ, nous fûmes rattrapés par Ruchaud et les Bourandy frères, je leur demandai s’ils n’avaient pas rencontré Couade et Lafont, ils me répondirent qu’ils les avaient rencontrés tous les deux ensemble arrêtés à côté du pont. Nous continuâmes notre route sans plus nous inquiéter. Le lendemain quand j’appris que Lafont avait été assommé et volé, je ne pu penser qui c’était, mais je ne pouvais soupçonner que celui avec qui je l’avais laissé. Pendant que j’ai bu avec Couade il ne m’a pas parlé de Lafont.

Lecture faite … ne sait signer

***

Audition de Jean Arnaud, 7 avril 1881

Arnaud Jean, âgé de 44 ans, cultivateur demeurant au Rouvereau commune de St Méard

Je confirme ma déposition à M. le juge de paix de Châteauneuf en date du 6 avril courant

Il était 7 heures ½ du soir environ, lorsque Couade, Bardaud fils et moi quittâmes l’auberge Sautour et prîmes la route de St Méard. A cent mètres à peu près avant d’arriver au premier pont que l’on rencontre sur cette route, Couade qui était un peu en arrière de nous s’arrêta sans rien nous dire. Je crus que c’était pour satisfaire un besoin. A peine avions-nous fait une dizaine de pas que nous rencontrâmes le père Lafont du Rouvereau qui retournait à Linards : " Où allez-vous père Lafont ? " lui demandâmes-nous. " Je ne sais " répondit-il. " Venez avec nous ", ajoutâmes-nous. " Je me suis dérangé (disputé) avec ma famille. Je m’en vais me noyer " répliqua-t-il. " L’eau est trop froide " repris-je. " Je ne la toucherai pas " répondit-il.

Je dis alors à Bardaud : " Allons-nous-en, cet homme raconte qu’il est brouillé avec sa famille ; s’il perdait son argent, on dirait que nous le lui avons pris, tirons-nous de là. "

Au moment où nous allions reprendre notre route, je vis Couade qui nous avait presque rejoint. Il était à côté du père Lafont, il lui dit : " Père Pierre, ne dites rien, c’est moi qui vous amènerai chez vous ". Là-dessus nous nous remîmes en marche, laissant Couade et Lafont ensemble.

A peine avions-nous dépassé le pont que nous fûmes rejoints par le nommé Ruchaud et les deux frères Bourandy qui voyageaient de concert. Je dis à Ruchaud : " As-tu vu là-haut dans la montée Couade et le père Lafont ? " - " J’ai vu là-haut Couade ", répondit-il, " et à côté de lui un homme couché à terre " - " Cet homme est le père Lafont ", repris-je, ajoutant : " Viennent-ils ? " - " Je le pense ", répliqua Ruchaud " et tous les cinq nous continuâmes notre route.

Lecture faite … ne sait signer

Pierre Bardaud, métayer à Echizadour, confirme le récit d’Arnaud (également appelé Deguilhem), la rencontre avec Lafont de retour vers Linards, et l’abandon de ce dernier aux soins de Léonard Couade.

Audition de Pierre Bardaud

Pierre Bardaud, âgé de vingt cinq ans, colon de … de Linards, demeurant à Echizadour, commune de Saint Méard

Samedi dernier, deux du courant, jour de foire à Linards, nous nous trouvions mon père et moi chez Sautour aubergiste, à boire une bouteille. A côté de nous se trouvait à une table le sieur Léonard Couade, taillandier à Echizadour, en compagnie du sieur Deguilhem, colon de M. Mosnier au Rouvereau. Vers les sept heures et demie ou huit heures du soir, il était bien nuit, nous partîmes tous de chez Sautour ; mon père était passé devant nous avec un autre voisin. Quand nous fûmes arrivés à environ huit cent mètres de Linards et pas loin de la maison de chez Bournaud, sur la route de La Croisille, Léonard Couade nous quitta sans rien nous dire et sans même nous dire bonsoir ; nous pensâmes que peut-être s’était-il arrêté pour satisfaire un besoin. A quelques pas de là nous rencontrâmes le père Lafont qui revenait sur Linards ; nous lui dîmes " Revenez donc avec nous, père Pierre. " Il nous répondit qu’il ne voulait pas. " Je veux retourner à Linards ", dit-il, " et je veux aller me noyer parce que chez moi m’ont dérangé ". Je lui dis " l’eau est trop froide, père Pierre " Il me dit " je ne la toucherai pas " Il me parut très ivre et je crois bien qu’il ne savait pas ce qu’il faisait. Nous continuâmes notre chemin et nous ne revîmes plus ni Couade ni le père Lafont. Nous n’entendîmes rien non plus. Je suis bien sûr qu’il ne s’était pas écoulé plus de deux ou trois minutes entre le moment où Couade nous a quitté et où nous avons trouvé le père Lafont.

Jusqu’à présent, j’ai toujours considéré Couade comme un honnête homme, et je ne sais pas si c’est lui qui a attaqué le père Lafont.

Quand nous avons rencontré le père Lafont, il titubait un peu ; je ne sais pas s’il est tombé et s’il aurait pu, en tombant, se faire tout le mal dont il se plaint. J’ignorai s’il avait vendu son veau et s’il portait de l’argent sur lui.

Lecture faite … ne sait pas signer.

***

Audition de Pierre Bardaud par le juge d’instruction, 7 avril 1881

Bardaud Pierre, âgé de vingt cinq ans, colon de Sautour de Linards, demeurant à Echizadour commune de St Méard.

Je confirme ma déclaration à M. le juge de paix de Châteauneuf en date du 5 avril courant …

Le nommé Télueré notre voisin but aussi à l’auberge Sautour une bouteille de vin avec mon père et moi.

Couade était un peu ivre, mais non pas au point de tomber. Il pouvait bien marcher.

J’ignore pour quel motif Couade s’arrêta. A peine nous avait-il laissé que nous rencontrâmes le père Lafont se dirigeant sur Linards. " Où allez-vous père Pierre ? " lui dîmes-nous, " venez avec nous. " - " Chez nous, m’ont dérangé, répondit-il, je veux me noyer. " - " L’eau est trop froide " repris-je. " je ne la regarderai pas " répliqua-t-il. Lafont était très ivre et titubait. Nous reprîmes notre route. Je n’entendis point Couade parler au père Lafont et ne le remarquai pas à côté de lui.

A cinquante pas environ au delà du pont, nous fûmes rejoints par Ruchaud et les deux frères Bourandy. Un peu plus haut, en passant devant chez la femme Madelon Faucher, j’entrai chez elle allumer notre lanterne et nous poursuivîmes notre chemin.

Lecture faite …

Léonard Ruchaud, cultivateur à Ligonat, a quitté la foire de Linards après une dernière halte à l’auberge Sautour avec les deux frères Bourandy du même village, un peu après le trio Arnaud (dit Deguilhem), Bardaud et Couade. Ils voient ce dernier avec Pierre Lafont et malgré les invitations de Couade refusent, tout comme Arnaud et Bardaud avant eux, de l’aider à rentrer chez lui ; eux aussi craignent d’être accusés de vol si Lafont perdait l’argent qu’il porte et dont tout le monde connaît apparemment l’existence. Ils font un écart, poursuivent leur route et rattrapent Arnaud et Bardaud. Léonard Couade est confronté au témoignage crucial de Ruchaud.

Audition Léonard Ruchaud, 7 avril 1881

Ruchaud Léonard, âgé de 38 ans, propriétaire cultivateur à Ligonat commune de St Méard

Le samedi 2 avril courant, je suis parti de Linards vers huit heures et demie du soir. Il faisait nuit depuis un moment. En passant devant l’auberge Sautour, j’ai rencontré les deux frères Bourandy de mon village et nous avons fait route ensemble. Parvenus au dessus de chez Bonnaud, dans un tournant avant le 1° pont, j’ai entendu Couade le forgeron d’Echizadour criant : " Venez, je vous en prie, m’aider à lever cet homme, il est soûl ". J’ai en effet aperçu près de lui un homme couché à terre sur l’accotement de droite en quittant Linards. Il avait la tête sur le bord d’un tas de cailloux. Si Couade n’avait pas parlé, je ne l’aurais pas reconnu, à cause de l’obscurité ; mais j’ai parfaitement compris sa voix. J’ai dit à mes compagnons : " Ce sont Couade et Arnaud qui tous les deux sont saoûls, comme souvent je les ai vus ; suivons notre chemin. " Le jour même, en consommant une bouteille de vin à l’auberge Sautour, j’avais vu dans cet établissement Couade et Arnaud buvant ensemble et tous deux un peu partis. Ce souvenir me confirma dans la pensée que l’individu couché près de Couade était Arnaud. Après mon observation à mes compagnons, pour éviter d’accoster Couade, nous avons fait un circuit sur la gauche de la route et avons poursuivis notre chemin. A 50 mètres environ au delà du pont, nous avons atteint Bardaud et Arnaud. Je n’ai pas osé dire à ce dernier ma supposition qu’il était l’individu ivre vu par nous à l’instant même couché sur la route près de Couade, mais je lui ai demandé s’il savait quel était cet individu. " Celui qui est avec Couade, c’est le père Lafont " me répondit-il, " j’ai voulu l’amener, mais je n’ai pas pu ". Je parlais spécialement à Arnaud. Il ajouta " On s’efforcerait de l’amener, de lui porter secours, s’il venait à perdre son argent, on passerait pour l’avoir volé ". Tous cinq, Arnaud, Bardaud, les deux Bourandy et moi avons ensuite voyagé de concert ; arrivés en face du village de Ligonat, les frères Bourandy et moi nous y sommes arrêtés et Bardaud et Arnaud ont continué leur route.

Sur interpellation :

Je n’ai entendu l’homme couché à terre près de Couade rien dire, ni pousser aucun gémissement.

Quinze ou vingt mètres avant d’atteindre Couade, je l’ai entendu nous appeler à son secours pour l’aider à relever l’homme couché à terre. Il a continué à nous appeler pour le même objet pendant le parcours de 10 ou 15 mètres au delà de lui. Mais aucun de nous ne lui a répondu. Pour le motif que je vous ai indiqué nous n’avons pas voulu nous approcher d’eux. On n’aime pas intervenir dans les querelles des gens en ribotte. Cependant si j’avais présumé que le père Lafont ait du être maltraité et volé, je serai bien venu à son aide.

Après lecture faite … a signé …

Confrontation :

A l’instant l’inculpé Couade est introduit en présence du témoin avec lequel nous le confrontons ainsi qu’il suit :

Ruchaud reproduit sa déposition ci-dessus transcrite.

Couade répond : je n’ai parlé à personne sur la route, je n’étais pas debout, j’étais couché à terre.

Ruchaud : je n’ai pas reconnu l’homme couché à terre, mais quelques instants après, ayant rencontré Arnaud, je lui ai dit : " quel est l’homme qui est là-haut avec le faure d’Echizadour ? " - " C’est le père Lafont, m’a-t-il répondu, ajoutant : j’ai voulu le conduire mais je n’ai pas pu. Couade est resté avec lui, s’il veut l’amener, qu’il l’amène. " 

" Chez Lafont sont des gens qui s’entendent si mal entre eux qu’ils sont toujours à se [debréger] (se disputer) … cet homme est si […] quand il a bu qu’on dirait que je l’ai volé. "

Couade : "  rien de cela n’est vrai, je n’ai pas accompagné le père Lafont, je n’ai appelé personne à mon aide pour le relever […] ainsi que ses deux compagnons ont rencontré sur la route […] à plusieurs reprises les a prié de l’aider à relever un autre homme qu’il a vu couché à terre […] ce n’était pas moi. Après avoir quitté Arnaud […] je me suis couché dans le fossé de la route, m’y suis endormi, et une fois réveillé je suis revenu à Linards.

Après lecture Couade a déclaré ne savoir signer.

Les deux frères Bourandy confirment le témoignage de Ruchaud, ils ont bien vu Couade et Lafont ensemble, ou plutôt ont reconnu la voix de Couade, l’obscurité étant complète ; quant à l’identité de Lafont, d’abord pris pour Arnaud (Deguilhem) ils ne l’ont établi qu’après avoir rattrapé Arnaud et Bardaud.

Audition de Léonard Bourandy jeune, 7 avril 1881

Bourandy Léonard jeune, âgé de 18 ans, propriétaire cultivateur demeurant à Ligonat commune de St Méard

Le samedi deux avril courant, je revenais de la foire de Linards en compagnie de mon frère et de Ruchaud lorsque, à 300 mètres environ avant d’arriver au premier pont de la route de La Croisille, nous entendîmes le faure d’Echizadour (Couade) nous disant " S’i vous plaît, venez m’aider à secourir cet homme ". Près de lui sur l’accotement de la route à droite en descendant était un homme couché à terre, la tête sur le bord d’un tas de cailloux, nous ne pouvions le reconnaître. Ruchaud nous dit " Je sais quel est l’individu qui est avec lui, c’est le colon de M. Mounier (Arnaud Deguilhem) ; ils sont soûls tous les deux, laissons-les, il faut nous en aller ". Sans bien distinguer Faure nous l’avons parfaitement reconnu au son de sa voix. Il nous a réitéré son appel plusieurs fois, soit avant que nous l’ayons rejoint, soit pendant que nous circulions autour de lui. Nous ne lui avons pas répondu et l’avons dépassé en nous tenant sur l’accotement de gauche.

Continuant notre route, nous avons dépassé le pont et à quelques pas au-delà nous avons rencontré Bardaud et Arnaud le colon de M. Mounier, celui-là précisément que Ruchaud supposait être avec le faure d’Echizadour. Nous lui avons demandé qu’elle était la personne se trouvant en compagnie de ce dernier. Il nous a répondu que c’était le père Boutaud, c’est à dire Lafont du Rouvereau. Je crois que pendant ce colloque, Bardaud était un peu en avant de nous ; j’ignore s’il a entendu ce que nous disions. Nous avons poursuivi notre chemin, mon frère et moi, causant avec Bardaud et Arnaud avec Ruchaud.

Sur interpellation :

Aux appels de Couade, aucun de nous trois n’a répondu. L’individu à terre n’a rien dit, ne s’est pas plaint.

Deux fois dans la soirée, je suis allé à l’auberge Sautour, je n’y ai pas vu Couade. Mon père et moi avons quitté Linards à huit heures ou huit heures et demi. Nous avons rencontré Ruchaud en face de chez Sautour. La nuit était obscure, il n’a pas tardé à pleuvoir.

Lecture faite … a signé.

Audition de Léonard Bourandy, 7 avril 1881

Bourandy Léonard, âgé de 47 ans, propriétaire cultivateur demeurant à Ligonat, commune de St Méard

Le samedi deux avril courant vers huit heures et demi du soir, en quittant la foire de Linards avec mon frère et Ruchaud, nous rencontrâmes Ruchaud devant l’auberge Sautour. Nous descendions la côte et étions arrivés à un tournant qui précède le pont lorsque nous entendîmes Couade nous criant en patois : " Venez m’aider à conduire cet homme, il est saoûl, je veux l’amener ! " - " ce sont Couade et Arnaud ", a dit Ruchaud, " passons et allons nous-en " et en effet nous les avons dépassés en obliquant à gauche de façon à ne pas les accoster. Eux étaient sur la droite en descendant. Le compagnon de Couade était couché à terre, lui n’a proféré aucune parole. Couade nous a plusieurs fois répété de lui venir en aide. J’ai parfaitement distingué le son de sa voix.

Continuant notre route, nous avons dépassé le pont d’une cinquantaine de mètres lorsque nous avons rejoint Bardaud et Arnaud. Nous avons alors reconnu que ce n’était point Arnaud qui était couché à terre près de Couade, comme nous l’avions présumé. Ruchaud lui dit : " Tiens, c’est toi qui est là ! " - " Oui " répondit Arnaud, " je m’en vais, je n’ai pu amener le père Pierre avec moi, je le laisse ".

Sur interpellation :

Avant que nous ayons atteint Couade et pendant quelques pas après que nous l’avons eu dépassé, il nous a répété plusieurs fois de lui aider à relever l’homme couché à terre près de lui. Sur le conseil de Ruchaud, nous ne l’avons pas écouté, n’aimant pas à nous mêler des affaires des ivrognes. Nous serions cependant venus à son secours si nous avions supposé qu’il serait frappé et volé.

Après lecture faite … a signé

Confrontation :

A l’instant en présence du témoin est introduit Léonard Couade l’inculpé que nous confrontons avec lui ainsi qu’il suit :

Bourandy reproduit le récit qu’il vient de nous faire dans sa déposition ci-dessus.

Couade répond : " Je n’étais pas debout, j’étai couché sur le bord de la route, un individu a même passé près de moi à ce moment et m’a regardé. "

Bourandy : " Quand nous avons passé près de Couade, il était debout et à côté de lui était un individu couché à terre.

Couade : " J’ai compris que l’individu qui a passé près de moi a dit : C‘est le faure d’Echizadour, laissons-le ! "

D. : Vous venez de nous déclarer qu’un seul individu a passé près de vous à ce moment, et vous nous dites maintenant qu’il a dit en vous voyant " Laissons-le ! " Cet individu n’était donc pas seul ?

R. : C’est en s’adressant à moi qu’il a dit cela.

Lecture faite … Couade a déclaré ne savoir signer, Bourandy a signé

Il pourrait donc y avoir une certaine incertitude sur l’identité de la personne trouvée par Ruchaud et les frères Bourandy en compagnie de Couade, mais elle est levée par les témoignages suivants.

Un autre groupe de marcheurs suit de peu les deux précédents sur la route de Linards à La Croisille, décidément très fréquentée en ce jour de foire malgré le mauvais temps : le maçon Léonard Roux de Puy-Guillaume (sur la route de Linards à la Croisille), Louis Amouroux et sa femme cultivateurs au même village et leur nièce Jeanne Parrot servante à Amboiras. Ceux-ci ont à couvrir, à pied et sous la pluie, un trajet de près de dix kilomètres pour rentrer chez eux. Contrairement aux deux groupes précédents, Roux propose à Couade de l’aider, lui et son compagnon visiblement mal en point ; la jeune Jeanne Parot entend et reconnaît la voix de Pierre Lafont, qui en semble pas encore blessé. Mais c’est alors Couade qui refuse et presse Roux et Amouroux de passer leur chemin ; peut-être a-t-il déjà décidé de voler Lafont ?

Audition de Roux par le juge de paix, à Puy Guillaume le 4 mai

… en exécution du télégramme que nous venons de recevoir, à nous adressé par M. le juge d’instruction …

nous sommes immédiatement transporté au lieu du Puy Guillaume, commune de La Croisille, au domicile de Roux à l’effet de recevoir sa déposition sur les faits relatifs au vol avec violence imputé à Léonard Couade, forgeron à Echizadour ; la femme dudit Roux s’étant présentée sur notre demande, nous a informé que son mari était absent depuis lundi dernier, qu’il travaillait au lieu de Lacour commune de Roziers, mais qu’il devait rentrer ce soir dans la nuit ; nous l’avons alors chargée d’une manière pressante de recommander à son mari d’avoir à se trouver demain matin à huit heures en notre cabinet à Châteauneuf, où nous avons été forcer d’ajourner l’accomplissement de notre mission.

Et avons signé …

Et le cinq mai 1881 … en notre cabinet … Roux ne se présentant pas, et dans la pensée qu’il ne sera pas rentré à son domicile hier au soir comme nous a dit sa … [l’avons envoyer chercher par la gendarmerie]

A comparu

Ledit Roux, lequel après avoir prêté serment de dire toute la vérité, que la vérité, interrogé par nous sur ses nom, prénom, âge et profession, s’il est domestique, parent ou allié de l’inculpé, a déclaré s’appeler Léonard Roux, âgé de trente huit ans, maçon demeurant au village de Puy Guillaume commune de La Croisille, n’être domestique, parent ni allié de l’inculpé … a fait la déposition suivante :

Le deux avril dernier, jour de foire à Linards, vers les neuf heures du soir je rentrais chez moi en compagnie d’Amouroux, de sa femme et de sa nièce, comme il pleuvait je m’étais abrité sous le parapluie de cette dernière. Amouroux venait avec sa femme derrière nous. Un peu avant d’arriver au tournant de la route qui précède le pont, j’entendis parler quelqu’un ; quand je fus arrivé près d’eux j’aperçus un homme qui semblait se lever du fossé où il était assis ou couché où il était. En même temps j’entendis une voix à côté de lui et je vis quelqu’un assis ou couché dans le fossé, mais que je ne distinguai pas. Je demandai alors qui va là ? celui qui s’était levé répondit " c’est nous ", je crois même qu’il n’était pas encore levé quand il me fit cette première réponse. Je demandai encore une fois qui va là ? mais sans quitter le milieu de la route, et je dis en même temps en m’adressant aux Amouroux " je crois que c’est le faure d’Echizadour ", j’avais cru reconnaître sa voix ; celui-ci me répondit alors " c’est vous Nassou " et il s’approcha de moi. Je lui dit mais que voulez-vous faire ? rester dans un fossé avec ce mauvais temps ? venez donc avec nous ". Il me repoussa alors légèrement avec les deux mains en me disant " allez-vous-en, allez-vous en ". Sur notre interpellation : ne lui avez-vous pas demandé qui était avec lui dans le fossé ? " je crois bien me rappeler qu’en effet je lui ai adressé cette question avant qu’il ne me dise " allez-vous en " mais je ne me souviens pas qu’il m’ai répondu "  je ne peux pas vous dire qui est avec moi ", il a pu me le dire mais dans tous les cas je n’y ai pas fait attention ; par exemple il m’a répété peut-être trois ou autre fois " allez-vous en, allez-vous en ", je pensai alors en moi-même en voyant l’insistance de Couade à nous faire partir, que ce devait être quelqu’homme ivre qui ne voulait pas se faire connaître. Amouroux me dit à ce moment-là " venez, ce sont des hommes ivres, laissons-les ". Au moment où nous partions j’ai bien entendu celui qui était dans le fossé parler à Couade mais je n’ai pas compris s’il lui offrait du tabac et ce qu’il lui disait ; ce doit être à ce moment que la petite Parrot me dit : " c’est Pierre de chez Bartaud du Rouvereau, je crois " (Lafont) ; quant à loi je ne pouvais pas le reconnaître, ne le connaissant pas. Avant d’arriver chez la Madelon, Amouroux était resté un peu en arrière et je l’entendais causer avec quelqu’un ; quand il nous a rejoint il dit que c’était avec Reilhac dit le Mamy. Avant de quitter Linards, j’étais entré chez Sautour aubergiste, où j’avais bu avec Amouroux, sa femme et sa nièce deux bouteilles de vin. J’aperçus dans la salle Couade qui parlait avec les uns, avec les autres, et qui me paru passablement ivre ; je ne fis aucune attention à lui et je ne sais même pas avec qui il parlait, seulement ayant eu besoin de sortir sur la route, au moment où je parlais avec quelqu’un pas loin de la porte de Sautour, Couade que je n’avais pas vu sortir, vint à moi et me dit : " venez Nassou, je veux vous dire quelque chose ", je n’avais pas grande envie de l’écouter, parce que je sais que c’est un bricoleur quand il a bu, me disant " il va m’embêter ". Il s’approcha de moi et me dit " je veux vous prêter cinq cent francs ". Je lui répondis " je n’ai pas besoin de votre argent, gardez-le " " Vous croyez peut-être que je ne les ai pas ? " en même temps il fit semblant de regarder dans ses poches, je lui répétai que je n’en avais pas besoin, que du reste ce n’était pas le lieu et le moment de parler de cette proposition ; il ajouta " je l’ai dit à votre mère ". Je n’ai pas demandé à cette dernière s’il lui en avait parlé. Je le quittai et rentrai chez Sautour sans m’inquiéter de ce qu’il devenait, nous finîmes les Amouroux et moi notre consommation, et vingt minutes environ après ma conversation avec Couade nous partîmes directement. J’avoue que quand j’ai eu appris ce dont on l’accusait cette offre m’a donné à penser, je dois dire cependant qu’il y a un an ou deux ans il m’avait aussi offert de l’argent.

Lecture faite …

Les dépositions des compagnons de marche de Roux, Louis Amouroux, sa femme et leur nièce, confirment exactement celle de Roux et accablent Léonard Couade. Un témoignage contradictoire (celui de Léonard Reilhac), évoqué au passage, est cité après ceux-ci.

Audition de Louis Amouroux, 7 avril 1881

Amouroux Louis, âgé de 42 ans, journalier demeurant au Puy Guillaume commune de La Croisille

Le samedi deux avril vers huit heures ½ du soir, je revenais de la foire de Linards en compagnie de ma femme et de Jeanne dite Dady Parot, ma nièce âgée de 16 ans, servante chez le colon de M. Mounier. La nuit était obscure. Avant d’arriver au pont, dans un coude de la route ; nous rencontrâmes le faure d’Echizadour qui était debout. Je lui dis : " Veux-tu venir, allons nous-en " - " Il y a là un homme qui est soûl " répondit-il, je voudrais l’amener ". Je continuai mon chemin, lorsque j’entendis l’individu couché à terre que Couade me disait vouloir emmener, dire à Couade : " Tiens, voilà du tabac ! ". Là-dessus ma nièce, reconnaissant cet individu, dit " C’est Pierre de chez Bartout " (Lafont)

J’avais fait deux pas pour reprendre ma route lorsque je fus rejoint par Reilhac, qui allait dans la même direction que moi. Je lui dis " Voilà le père Lafont qui est perdu de vin, conduisez-le chez vous " - " Je n’ai pas de lit " répondit-il " Quand même " ajoutai-je " il sera mieux dans la maison sur un plancher que sur la route en plein air " - " Je n’ai pas de lit " répéta-t-il " je ne peux pas l’emmener " - " Faites comme vous voudrez " repris-je en m’en allant.

Sur interpellation :

J’ai bien reconnu le faure, je l’ai même vu à l’air du temps.

Confrontation :

A l’instant nous faisons introduire l’inculpé Couade en présence du témoin et les confrontons ainsi qu’il suit :

Amouroux reproduit sa déposition ci-dessus.

Couade répond : … je ne vous ai point parlé, le père Lafont n’était pas à côté de moi.

Amouroux : … j’ai dit la vérité

Couade : je ne vous ai nullement parlé.

Amouroux ; Vous m’avez parlé, j’ai parfaitement compris vos paroles [misérable]

Couade : Vous vous êtes trompé.

Après lecture faite … n’ont su signer

Audition de Louis Amouroux, 3 mai 1881

Louis Amouroux, âgé de quarante deux ans, cultivateur demeurant au Puy Guillaume commune de La Croisille

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Je confirme la déposition que j’ai faite devant M. le juge d’instruction le sept avril dernier …

C’est bien vers les huit heures et demi du soir qu’en compagnie de ma femme et de ma nièce Dady Parrot, avant d’arriver au pont de Linards, que nous rencontrâmes sur l’accotement gauche de la route le faure d’Echizadour, debout et causant avec un individu nommé Roux maçon au village du Puy Guillaume ; sur notre interpellation : lais votre première déposition, il n’a pas été question de la présence de Roux, lorsque vous avez rencontré le faure d’Echizadour avec Lafont ? – C’est que j’étais ému et que je ne me suis pas rappelé sur le moment ; quand nous approchâmes d’eux, je reconnus parfaitement Roux et Couade. Je leur demandai " Qu’est ce c’est donc ? " Roux répondit " c’est un homme qui est ivre ". Couade ajouta " je veux l’emmener ", mais sans me dire qui était cet homme. J’engageai alors Roux et Couade à me suivre ; le premier me suivit en effet, mais Couade resta avec l’individu ; au moment où nous quittions Couade, j’entendis l’individu couché dans le fossé dire à Couade : " Tiens, voilà du tabac " La-dessus ma nièce, le reconnaissant, dit :  " c’est le père Lafont ". Nous avions fait une dizaine de pas lorsque, entendant venir quelqu’un derrière moi, je m’arrêtai ; je vis alors Reilhac et je lui dis : " tiens, il y a derrière nous le père Lafont perdu de vin, conduisons-le chez vous ", mais me répondit Reilhac " je n’ai pas de lit, ni foin ni paille ". Quand même, ajoutai-je, " il sera mieux dans la maison sur le plancher que sur la route en plein air ". Reilhac persista à refuser. " Faites comme vous voudrez " et nous partîmes ensemble. Sur notre interpellation : Qu’entendiez-vous par l’air du temps ? Quand vous avez vu et reconnu Couade, était-ce à la lueur d’un éclair ? – Non, il ne faisait pas d’orage, mais comme il était debout, sa personne se dessinait très bien et je l’ai parfaitement reconnu. Je n’ai pas reconnu si Lafont était assis ou couché dans le fossé de gauche, mais il n’était pas debout.

Confrontation avec Reilhac :

A l’instant Reilhac étant appelé, nous le confrontons avec le témoin ainsi qu’il suit :

Amouroux reproduit sa déposition ci-dessus et affirme ne pas avoir dit à Reilhac que Couade était devant eux et qu’ils allaient le rattraper, qu’il ne pouvait pas lui dire cela, puisqu’ils venaient de laisser derrière eux Couade et Lafont.

Reilhac répond : je persiste à dire que j’ai compris que Amouroux m’avait dit que le faure était devant et que j’ai aperçu à une quarantaine de pas sur la route la silhouette d’un individu.

Amouroux : je persiste à dire que je n’ai pu dire cela à Reilhac puisque je savais bien que j’avais laissé Couade avec Lafont, ainsi du reste que pourra en témoigner Roux.

Lecture faite … ne savent signer

Audition de Jeanne Tourniérou, 3 mai 1881

Jeanne Tourniérou, âgée de quarante six ans, épouse de Louis Amouroux, cultivatrice demeurant au Puy Guillaume commune de La Croisille

Samedi deux avril vers les huit heures du soir, je rentrais chez moi en compagnie de mon mari, de ma fille, et de Roux du Puy Guillaume, lorsqu’arrivés au détour de la route qui précède le pont, nous aperçûmes sur l’accotement de gauche un homme arrêté et à côté de lui, assis ou couché dans le fossé, un autre individu ; Roux, qui avait quelques pas d’avance, s’arrêta pour parler à ces individus et mon mari s’arrêta aussi, mais comme il faisait mauvais temps, je ne m’arrêtai pas et n’entendis pas ce qu’ils dirent. Nous avions parfaitement reconnu Couade et nous ne sûmes que c’était le père Lafont que quand nous l’entendîmes dire à Couade : " Veux-tu du tabac ? " Ma fille, à ce moment dit " c’est Pierre du Rouvereau (Lafont). Je le reconnais à sa voix ". Nous continuâmes notre route et nous fûmes rejoints par Roux qui nous dit qu’il avait engagé Couade à le suivre, mais que ce dernier avait refusé. Quant à mon mari il était resté derrière parce qu’il avait entendu paraît-il venir quelqu’un qui se trouvait être Reilhac, à ce qu’il me dit. Quant à moi, je n’ai pas vu Reilhac.

Lecture faite … ne sait signer.

Audition de Léonarde Parrot, 3 mai 1881

Léonarde Parrot, âgé de dix huit ans, célibataire, servante demeurant à Amboiras commune de La Croisille.

Samedi deux avril à huit heures du soir, en rentrant de la foire de Linards en compagnie d’Amouroux mon oncle, de ma mère et de Roux du Puy Guillaume, arrivés au tournant de la route avant le pont de Linards, nous aperçûmes deux individus, dont l’un était debout sur l’accotement de gauche et l’autre assis ou couché dans le fossé à côté de lui. Nous nous arrêtâmes mon oncle, Roux et moi, ma mère suivit son chemin. Roux parla le premier à l’individu qui était debout et que nous reconnûmes parfaitement pour être le faure d’Echizadour. " Que fais-tu là ? lui dit-il. " ne restes pas là, viens avec nous ". Le faure répondit " non, je ne veux pas m’en aller encore ". Roux lui demanda " quel est l’homme qui est avec vous ? " Couade répondit " c’est un homme, mais je ne veux pas vous dire qui c’est ". Je suis absolument sûr de cette réponse de Couade. Roux dit alors " Eh bien allons-nous en, laissons-les ". A ce moment nous partîmes et j’entendis le faure dire " Où êtes-vous ? " et l’individu couché repondit " je suis là, tiens, voilà une prise de tabac ". Je reconnus alors parfaitement la voix de Lafont et je dis " c’est Pierre du Rouvereau ". J’ajoutai en m’adressant à Roux et à mon oncle " je le reconnais, vous ne le lèveriez pas, laissez-le là ". Amouroux mon oncle resta alors derrière nous et ne nous rejoignit qu’à la petite maison chez Madelon. Il avait entendu venir quelqu’un derrière et s’était arrêté pour lui parler, il nous dit plus tard que c’était Reilhac, mais je ne l’ai pas vu.

Lecture faite …

Un témoignage cité dans les dépositions précédentes était donc favorable à Couade : Léonard Reilhac, cultivateur au Puy de Linards, qui venait ensuite seul sur la route, prétendait avoir rencontré Pierre Lafont seul avec Louis Amouroux, et celui-ci lui aurait précisé que Léonard Couade était plus loin sur la route. Comme les autres, Reilhac refuse d’ailleurs de se charger de Lafont, de peur d’ennuis à cause des fameux 90 francs.

A la suite de la confrontation ci-dessus entre Amouroux et Reilhac le juge de paix et le juge d’instruction choisirent de croire le premier au détriment du second, le juge de paix estimant Reilhac généralement ivrogne et peu fiable. Il est vrai qu’il aurait vu Couade à la lueur d’un éclair, alors qu’il ne faisait pas orage.

Audition de Léonard Reilhac, 6 avril 1881

Léonard Reilhac, âgé de soixante huit ans, cultivateur demeurant au Puy de Linards

Le deux courant, vers les neuf heures du soir, je revenais de la foire de Linards. Presque arrivé à environ sept cent mètres, au tournant de la route qui précède le pont, je vis un homme couché dans le fossé et qu’un individu essayait de relever. Je m’arrêtai et un individu qui était Louis Amouroux demeurant à La Croisille (ancien colon de M. Bragard) s’approcha de moi et me dit " c’est Pierre du Rouvereau, cet homme est gris et malheureux, vous devriez l’amener chez vous ". Je répondis que je n’avais pas de lit, qu’il était près de Linards, plus près que de chez moi, que du reste je savais qu’il avait reçu de l’argent, quatre vingt quinze francs et qu’avec cette pensée je ne voulais pas me charger de lui dans le cas où il aurait perdu son argent ; c’était une réflexion que je me tenais sans en faire part à Amouroux ; ce dernier laissa alors Lafont en me disant " je m’en vais avec vous, du reste le faure est devant nous, je vais le rattraper ". Il ne me dit pas quel faure c’était ni duquel il voulait parler, pour moi je ne l’avais pas vu. Une fois arrivé chez moi Amouroux continua sa route. Une demi heure après, j’étais couché, j’entendis du bruit et ma femme me dit que quelqu’un l’amenait chez Madelon, mais comme il était nuit elle ne reconnut pas qui c’était, mais ayant entendu plaindre à côté de chez moi, je me doutais que c’était Lafont. J’ignorais alors complètement qu’il fut blessé. Le lendemain matin, j’appris par Faucher, mari de Madelon, que Lafont avait été volé et blessé, ajoutant qu’il avait dit que c’était le faure. Je compris qu’il voulait parler de celui d’Echizadour qui avait fait le coup. J’entrai alors pour le voir et l’ayant vu couvert de sang, je lui demandai ce qu’on lui avait fait. Il répondit que c’était le faure qui l’avait rattrapé, secoué et battu et qu’il lui portait les mains sur le corps pour le fouiller, qu’il ne se plaignait que du faure sans entrer dans d’autres explications. J’ai bien vu le faure Couade chez Sautour, il était alors nuit, je ne puis préciser l’heure, je ne sais avec qui il était ni s’il buvait, je ne me suis pas aperçu quand il est sorti, je ne sais pas s’il a vu compter à Lafont l’argent de son veau, je ne sais pas …

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Audition de Léonard Reilhac, 7 avril 1881

Reilhac Léonard dit Marvi, âgé de 68 ans, cultivateur demeurant au Puy de Linards

Je confirme ma déclaration à M. le juge de paix en date d’hier …

La nuit était obscure, rentrant chez moi, je descendais la côte, lorsque dans un tournant de la route, j’aperçus à ma gauche sur la route un homme de debout. " Qui est là ? " lui demandai-je. " C’est moi " répondit-il, " C’est toi Louis ! " lui dis-je. " C’est vous Marvi ! " répliqua-t-il. " Que fais-tu là ? " ajoutai-je. " Pierre du Rouvereau est là, perdu de vin " reprit-il, " conduisez-le chez vous " - " Je n’ai ni foin ni paille " lui répondis-je,  " je ne peux le faire coucher " - " Si vous ne voulez pas l’amener chez vous " continua-t-il, " je vais m’en aller avec vous et essayer de rejoindre le faure qui est en avant ". Je compris, sans qu’il me l’expliquât, qu’il parlait de Couade le forgeron d’Echizadour. J’aperçus même à la lueur d’un éclair à 40 mètres environ en avant de nous sur la route un homme que je ne pus distinguer.

Si Amouroux ne m’avait pas dit que l’homme étendu dans le fossé était Pierre Lafont, je ne l’aurais pas reconnu à cause de l’obscurité. Ce dernier était tout à fait couché dans le fossé. Le lendemain, au jour, en passant au même endroit, j’observai que la terre de ce fossé avait été remuée et … J’y trouvai 3 boutons que pris pour des boutons de gilet.

Je ne remarquai sur la route ni la femme ni un parent de Louis Amouroux. Je sais que sa femme et sa mère se trouvaient à la foire de Linards …

Lecture faite … ne sait signer

Les autres témoignages n’ajoutent rien de nouveau aux faits déjà établis.

Vers 21H30 Pierre Lafont est retrouvé inanimé et ensanglanté sur le bord de la route, près du Puy de Linards où la victime avait du se traîner après avoir été frappée, par Léonard Bonnefond charron à la Chabassière et Madeleine Faucher du Puy, dite Madelon ; ils l’emmènent chez cette dernière.

Audition de Léonard Bonnefont

Léonard Bonnefont, âgé de quarante quatre ans, charron demeurant à la Chabassière, commune de St Méard

Le deux courant, vers les neuf heures du soir, je rentrai chez moi, revenant de la foire de Linards, en compagnie de Madelon du Puy de Linards, et de son enfant ; arrivés à deux cent mètres au delà du petit pont, presqu’à côté de la maison de Mamy, nous entendîmes crier et appeler au secours, nous nous approchâmes avec ma lanterne que j’avais à la main, et nous vîmes le père Lafont, debout ou à genoux, je le reconnus et lui demandai ce qu’il avait ; il me répondit " c’est ce coquin de faure d’Echizadour qui m’a volé quatre vingt quinze francs et qui m’a battu ". Nous l’aidâmes alors à se relever et nous le transportâmes chez Madelon. Arrivé là il demanda un bonnet et en le lui mettant sur la tête, j’aperçus une large blessure sur le front et la figure couverte de sang. En le conduisant il nous répéta à deux ou trois reprises que c’était le faure qui lui avait fait cela, mais sans nous donner d’explications. Il me pria de voir sur la route si je ne trouverais pas son chapeau, une paire de socques et ses cordes, il ajouta même que ses socques étaient la cause de son malheur en retardant son départ de Linards. Il faisait très obscur, je ne trouvai rien. Lafont était un peu gris, mais il avait toute sa connaissance et ce qui le prouve c’est qu’il pensa tout de suite à ce qu’il avait perdu, et était parfaitement à même de reconnaître les personnes à qui il parlait.

Lecture faite … ne sait signer

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Audition de Léonard Bonnefont, 7 avril 1881

Bonnefont Léonard, âgé de 44 ans, charron à la Chabassière commune de Saint Méard

Je confirme la déclaration que j’ai faire hier à M. le juge de paix de Châteauneuf.

La figure du père Lafont était tout ensanglantée.

" Est-ce que vous avez eu quelques mots avec Couade ? " lui demandai-je. " Oui ", répondit-il, " mais c’était pour me prendre mes 95 francs "

Deux fois à un certain intervalle de temps, je lui demandai qui l’avait mis dans cet état. " C’est le faure d’Echizadour " me répondit-il sans hésiter. Je lui fis bien expliquer la seconde fois. Je crois même qu’il nous le dit une autre fois pendant que nous le transportions chez Madelon.

Lecture faite … ne sait signer

Audition de Madeleine Faucher

Madeleine Faucher âgée de quarante neuf ans, épouse de Léonard Faucher, cultivateur demeurant au Puy de Linards

Le deux courant, vers les dix heures du soir je revenais de Linards avec Léonard Bonnefont de la Chabassière. Alors qu’arrivés un peu avant la maison de Reilhac à une vingtaine de pas, nous entendîmes quelqu’un se plaindre, nous approchâmes alors et nous aperçûmes le nommé Pierre Lafont à genoux sur le côté droit de la route en allant à La Croisille, il était sur deux tas de pierres ; Bonnefont approcha sa lanterne et nous lui demandâmes ce qu’il avait. " Je suis bien malheureux " dit-il, " le coquin a voulu me tuer et m’a volé mon argent " Qui " demandâmes-nous ? " C’est ce coquin de faure d’Echizadour, il m’a pris quatre vingt quinze francs ". Nous le conduisîmes alors jusque chez moi où je le couchai sur ma paillasse, n’ayant pas de lit à lui donner ; je le lavai ensuite et m’aperçus qu’il avait sur la tête une forte blessure, mais comme il était couvert de sang le n’aperçus pas d’autre blessure. A ce moment vint à passer Soumagnas dit Ganaud de St Méard avec son métayer, ils entrèrent et voyant le père Lafont dans cet état lui demandèrent ce qu’il avait, il répéta à plusieurs reprises ce qu’il m’avait dit déjà, que le faure d’Echizadour l’avait battu et lui avait volé quatre vingt quinze francs ; lui ayant demandé si Couade était seul il me répondit affirmativement, ajoutant que Couade avait commencé par le flatter et l’engager à le suivre ; voyant que ce dernier l’avait frappé après avoir cherché à le fouiller et l’entendant crier, il me dit aussi qu’il avait perdu son chapeau, ses socques et ses cordes et sa tabatière ; mon mari fut voir s’il trouvait ces objets, qu’il trouva en effet près du pont en deçà de Linards sur le côté droit de la route en allant à Linards ; la tabatière fut trouvée le lendemain matin par Deguilhem au … qui m’en fit la remise ; quand au couteau il n’a pas été retrouvé. A ce moment-là je ne puis dire si Lafont était bien ivre, mais il fallait qu’il ne le fut pas trop pour se rappeler tous les objets qu’il avait perdu.

Lecture faite … ne sait signer.

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Audition de Madeleine Faucher, 7 avril1881

Femme Faucher, dite Madelon âgée de 42 ans, cultivatrice, demeurant au Puy de Linards

Je persiste dans ma déclaration à M. le juge de paix de Châteauneuf en date d’hier …

Quand nous reconnûmes Lafont, il avait le haut du corps appuyé sur un tas de pierres. Avant l’arrivée de Soumagnas, il nous déclara deux fois que c’était le faure d’Echizadour qui l’avait frappé et volé. Je lui dis " Pauvre Pierre, y en avait-il un autre avec lui ? " - " Il n’y avait que lui " répondit-il.

Il dit à Soumagnas qu’on lui avait soustrait 75 francs.

Lecture faite … ne sait signer.

Vers 22H00 Léonard Sautour, cultivateur à St Méard, passe chez la Madelon et va ensuite prévenir la famille de Lafont au Rouvereau.

Audition de Léonard Sautour, 2 mai 1881

Léonard Sautour dit Denis, âgé de quarante ans, cultivateur demeurant à St Méard.

Le soir de la foire de Linards vers les dix heures, en rentrant chez moi, comme il pleuvait, je m’arrêtai chez la Madelon au dessus du pont de Linards, mon métayer était avec moi ; quand je fus entré j’aperçus, étendu dans la cuisine sur la paille un individu ; je demandai qui c’était. " C’est le père Pierre " me répondit la Madelon ; je m’approchai de lui et lui demandai ce qu’il avait. " C’est le faure d’Echizadour " me répondit-il " qui m’a volé soixante quinze francs, mon couteau et ma tabatière, et qui a voulu me tuer " - " Ce n’est pas possible, ce n’est pas vrai ! " - " C’est lui, me dit Lafont, c’est lui et bien lui " et il me l’affirma à plusieurs reprises ; il ne me donna pas du reste de détails sur sa rencontre avec le faure d’Echizadour et sur les circonstances dans lesquelles s’était accompli le vol. Mon métayer souleva alors la couverture et ayant vu la tête de Lafont en sang, je dis " je ne veux plus rien voir " et je me reculai ; mon métayer et moi partîmes et nous fûmes prévenir la famille que le père Lafont était bien malade, mais sans leur dire qu’il avait été volé et frappé.

Lecture faite … ne sait signer ….

Reste à savoir ce que fit Léonard Couade après avoir agressé Pierre Lafont. La tenancière de l’auberge Sautour, pour qui la journée de foire a été bonne, nie l’avoir revu après qu’il eut pris la route de Linards, après Lafont, vers 20H30, contrairement à ce que prétend l’accusé qui prétendait, au début de l’enquête, être resté à Linards dans les auberges Sautour et Villetelle jusqu’à ce qu’il parte à Montaigu bien après l’heure de l’agression.

Audition de Léonarde Ruchaud, 6 avril 1881

Léonarde Ruchaud, âgée de cinquante ans, épouse de Léonard Sautour, aubergiste demeurant à Linards.

Le deux courant, le sieur Couade est venu chez moi à deux reprises, une première fois vers les cinq heures, je ne sais avec qui il a bu, il est resté assez longtemps, il est sorti et je ne sais où il est allé. Il est revenu une seconde fois vers les huit heures avec Arnaud dit Guilhem. Je ne suis pas sûre si Bardaud était avec eux ; c’est Guilhem qui a payé la dépense. Ils sont restés au moins une heure puis sont sortis tous les trois ensemble, Arnaud, Bardaud et lui. Je ne les ai plus revus aucun et j’affirme qu’après cette dernière sortie Couade n’est pas revenu chez nous, ni moi ni mes filles ne l’avons vu. S’il fut rentré et qu’il eut demandé comme il le prétend une goutte, moi ou mes filles nous en rappellerions. Je crois bien que Couade a du se trouver à boire dans la même salle que Lafont, mais je ne puis l’affirmer, j’ignorais que Lafont eut vendu un veau et en eut touché le prix. Lafont sortit de chez nous environ cinq heures du soir, disant qu’il avait des commissions dans le bourg, il repassa devant chez nous au soleil couché, il s’assit sur une pierre à côté de la porte. Peu de temps après il se leva et se dirigea vers chez lui, il était un peu gris, il titubait, il lui fallait du reste boire peu de vin pour le griser. Je ne sais pas ce qu’il est devenu après nous avoir quittés ; quand j’ai appris ce qui était arrivé je n’ai porté de soupçons sur personne.

Lecture faite … ne sait signer

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Audition de Léonarde Ruchaud, 7 avril 1881

Léonarde Ruchaud, âgée de 45 ans, épouse Sautour, demeurant à Linards

Je persiste dans ma déclaration à M. le juge de paix de Châteauneuf …

J’affirme que Couade n’est pas revenu chez moi postérieurement à son départ de mon établissement vers 8 heures ou 8 heures et ½ , à cette heure-là j’ai fait porter les consommations et je n’ai plus servi à boire à personne. La journée m’avait paru assez longue depuis le matin de bonne heure et j’avais besoin de me reposer.

Lecture faite … ne sait signer

Léonard Villetelle, l’autre aubergiste du champ de foire, n’a vu Couade entrer chez lui que vers 22h00, laissant Couade sans alibi de 20H00 à 22H00, moment où les autres témoins l’ont vu ou entendu en effet sur la route de St Méard en compagnie de Lafont.

Audition de Léonard Villetelle, 6 avril 1881

Léonard Villetelle, âgé de quarante six ans, aubergiste demeurant à Linards

Le deux courant, jour de foire à Linards, vers les neuf heures et demi ou dix heures moins un quart, le sieur Couade est venu chez nous seul, je ne sais d’où il venait ; il s’attabla avec les frères Sautour, Robinet et Tanaby, ils burent ensemble deux petits verres que Sautour paya, puis il en but un autre seul qu’il me paya quinze centimes qu’il sortit de sa poche ; je ne vis pas son porte monnaie ; ils sortirent ensemble à dix heures, il paraît que Couade fut coucher chez Sautour mais je n’en sais rien ; je ne crois pas qu’il soit venu chez nous dans la journée. Il était un peu ivre mais pas au point de tomber ; il ne me parla pas s’il s’était couché le soir dans un fossé. Hier étant allé chez Couade et ayant entendu dire qu’il était accusé d’avoir volé Lafont, voulant savoir s’il prendrait livraison de copeaux que je lui avais vendus le dimanche, lendemain de la foire, dès que j’entrai il me dit " il fait bien bon, vois ce qu’on fait : croyez-vous qu’on m’accuse d’avoir battu et volé le père Lafont, moi qui suis allé me coucher tranquillement chez Sautour ". Je lui répondis " en effet ces affaires doivent donner de la connaissance, on leur apprendra à de retirer tranquillement chez eux ". Il ajouta qu’il n’avait rien à craindre, qu’il buvait bien quelques bouteilles de vin mais qu’il n’avait jamais fait de mal à personne. Je lui demandai s’il voulait envoyer chercher les copeaux, il me dit " je veux bien " mais il ajouta en riant " amenez-moi vos roues que je les ferre, car après tout ce qui se dit, si on me mettrait en prison je ne pourrais pas les ferrer ", mais que si on l’y mettait, qu’il n’était pas coupable et qu’il se vengerait de ceux qui l’accusaient …

Lecture faite .. a signé.

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Audition de Villetelle par le juge d’instruction, à Linards, auberge Sautour - 7 avril 1881

Villetelle, âgé de 45 ans, cultivateur demeurant à Linards …

Je confirme ma déclaration à M. le juge de paix de Châteauneuf en date du 6 avril courant dont vous venez de me donner lecture.

J’affirme de nouveau n’avoir pas aperçu le porte monnaie de Couade et n’avoir pas vu ce qu’il contenait ; il était pris de boisson mais pouvait parfaitement se tenir debout et marcher sans tomber.

Lecture faite … signe VILLETELLE

Chez Villetelle Léonard Couade rencontre les frères Sautour, tuiliers à Montaigu (village de Linards limitrophe de la commune de St Méard) et Léonard Duroudier dit Tanaby ou Robinet, charbonnier à La Baraque (près du village de Vénouhant, commune de Châteauneuf), qui prennent des forces en buvant des " petits verres " en vue du long chemin qu’ils auront à faire sous la pluie pour rentrer de Linards. Couade insiste sur le fait qu’il n’a pas d’argent. Ils emmènent Couade chez eux, le laissent dormir dans la paille et lui prêtent des vêtements secs.

Audition de Gabriel Sautour , 6 avril 1881

Gabriel Sautour, âgé de quarante ans, tuilier demeurant aux tuileries de Montégut, commune de Linards

Le deux courant entre huit et neuf heures du soir, j’étais avec Robinet à boire chez Villetelle, lorsqu’en entrant dans la cuisine j’aperçus Couade, il était debout ; comme il pleuvait beaucoup dans ce moment, nous prîmes un petit verre ensemble avec mon frère et quelques personnes. C’est moi qui avais invité Couade ; nous sortîmes ensemble avec mon frère Tanaby de La Baraque. Arrivés sur le champ de foire, comme il faisait très mauvais temps et que Couade était un peu pinté, nous l’engageâmes à nous suivre chez nous, il était gris, mais pas assez pour tomber et il savait tout ce qu’il faisait ; pendant la route, il causa beaucoup de choses et d’autres. Arrivés chez nous, comme nous étions très mouillés, nous changeâmes, je lui prêtai une blouse et une chemise, il coucha dans la barge et partit le lendemain matin en emportant la blouse et nous laissant la chemise. Je n’ai pas connaissance qu’il ait changé de blouse chez Villetelle. Le lundi matin en allant à Châteauneuf il passa chez nous et nous dit de garder sa chemise, de ne pas la laver, que comme on l’accusait d’avoir volé Lafont, il put présenter celle qu’il avait le jour de la foire. Je n’ai pas remarqué le soir si sa blouse était tachée ou non de sang, je ne l’avais pas vu pendant toute la foire, ni chez Sautour ni ailleurs et je ne sais s’il a pu rencontrer Lafont dans la soirée.

Lecture faite … ne sait signer

Audition de Léonard Duroudier, 1° mai 1881

Léonard Duroudier, dit Barnaby, âgé de quarante deux ans, charbonnier demeurant à La Baraque de Vénouhant commune de Châteauneuf

Le soir de la foire de Linards, je trouvai vers les dix heures chez Villetelle, Couade attablé avec les deux Saurour et une quatrième personne. En sortant j’ai vu Couade prendre un verre de liqueur avec Sautour aîné. Couade dit à Sautour " Allons paye, mamy ". Celui-ci paya. Sautour dit à Couade " Payes-en un autre ". Couade répondit " je n’ai plus d’argent " et il sortit de sa poche dix sous en monnaie de billon " mais fais-donc voir de la monnaie de France " - " Je n’en ai pas " répondit Couade, " je n’ai que des sous " - " Allons " dit Sautour " tu as de quoi payer une bouteille de cidre, allons la boire, nous sortirons tous ensemble ". Quand nous arrivâmes à Sautour le Petit, il pleuvait à verse ? Couade voulut prendre la route qui le conduisait chez lui, Sautour lui dit " Il pleut trop, tu auras besoin de changer de chemise, viens donc chez nous ". Couade les suivit. Quand nous arrivâmes à la tuilerie de Sautour, je les quittai. Couade entra avec eux. Je n’avais entendu tenir par Couade aucun propos chez Villetelle, je n’ai pas vu Couade y changer d’habits ni l’ai entendu dire en route. Couade dit " Si j’avais su suivre ma femme qui voulait m’emmener, je n’aurais pas vu tant de mal et je n’aurais pas dépensé mon argent ". Il avait aussi tenu ce propos chez Villetelle en prenant des petits verres avec Sautour. Couade ne paraissait pas trop gris ni chez Villetelle ni en route ; il était peut-être un peu parti mais ne trébuchait pas et suivait bien son chemin, il était gai pendant la route et chantait. Le mardi matin en allant à St Germain, je passai devant chez lui, il m’arrêta en me demandant si j’avais vu Sautour. Je lui répondis que non. Il me dit " Avez-vous entendu dire ce qu’on dit de moi ? " Je lui répondis " j’ai bien entendu parler de quelque chose, mais je ne sais pas ce que c’est " Il me dit alors " C’est moi qu’on accuserait, il y a déjà un procès verbal de fait ". Il ajouta " c’est bien malheureux pour moi d’être accusé de ces choses-là ". Je lui …

Le témoignage du meunier de Ligonat ne permet pas d’établir si Couade a changé de vêtements parce qu’ils auraient été tachés de sang.

Audition de Antoine Pautou, 2 mai 1881 par le juge de paix

Antoine Pautou, âgé de quarante huit ans, meunier demeurant à Ligonat commune de St Méard.

Je ne sais rien de ce qui s’est passé au sujet du vol imputé à Couade ; j’ai entendu dire qu’il avait changé d’habits chez Sautour tuilier, par la femme Raineix des quatre routes. J’ai entendu dire aussi qu’il en avait changé chez Villetelle, mais je ne puis me rappeler par qui a été tenu ce propos (Malgré notre insistance le dit Pautou a persisté à dire qu’il ne se rappelait pas ni où ni par qui ce propos lui avait été tenu). Le témoin a dit ne savoir autre chose ;

Lecture faite …

En conséquence des faits établis par l’instruction le procureur renvoie Léonard Couade devant les assises de limoges le 19 mai 1881, et dresse l’acte d’accusation suivant :

Acte d’accusation

contre

Léonard Couade, âgé de 27 ans, forgeron, né le 19 mars 1854 à Châteauneuf, arrondissement de Limoges, demeurant au village de l’Echizadour, commune de Saint Méard, canton de Châteauneuf.

Lafond Pierre, du village du Rouvereau commune de Saint Méard, âgé de 73 ans, avait quitté Linards le 2 avril dernier, jour de foire dans cette localité, à la nuit tombante, après avoir vendu un veau moyennant le prix de 95 francs. Pour se rendre chez lui il devait prendre la route de Linards à La Croisille. A 200 mètres du bourg il fut rencontré , revenant sur ses pas, par les srs. Bardaud et Arnaud dit Deguilhem. Un peu plus tard il croisa le nommé Couade Léonard qui lui proposé de l’accompagner. Peu après, à un endroit encore plus rapproché de Linards, Couade a été vu auprès d’un homme étendu à terre, il demanda même à des personnes qui passaient de l’aider à porter secours à l’individu couché sur le sol. Cet individu dont il refusa de dire le nom a été reconnu pour Lafond Pierre.

Vers neuf heures du soir, ce dernier fut trouvé par Madeleine Faucher et Léonard Bonnefond sur le bord de la route, la figure couverte de sang, pouvant à peine se soulever. Il raconta que le faure d’Echizadour, c’est à dire Couade Léonard, était l’auteur de ses blessures, qu’il l’avait fouillé et qu’au moment où il criait au voleur, il l’avait frappé à la tête avec une extrême violence. Lafond ajoute qu’à la suite de ce coup, il a perdu connaissance et que quand il est revenu à lui, sa bourse et les 95 francs qu’elle contenait avaient disparu.

Lafond a fait le même récit à diverses personnes, il l’a confirmé devant la magistrature et il y a persisté avec énergie en personne de Couade.

Les constatations médicales concordent avec ses déclarations.

Couade a d’abord prétendu qu’il n’avait quitté Linards qu’à neuf heures du soir en compagnie des frères Sautour ; il a du renoncer à ce système mais il continue malgré les déclarations formelles de plusieurs témoins à prétendre qu’il n’a pas même vu Lafond dans la soirée du 2 avril.

Couade et Lafond avaient bu l’un et l’autre outre mesure, mais ils n’avaient pas perdu la raison.

En conséquence Léonard Couade est accusé d’avoir,

Le deux avril 1881, sur le territoire de la commune de Linards, soustrait frauduleusement une certaine somme d’argent au préjudice de Pierre Lafond.,

Avec la circonstance aggravante que cette soustraction frauduleuse a été commise :

1° La nuit,

2° Dans un chemin public,

3° A l’aide de violences,

4° Ces violences ayant laissé des traces de blessures et de contusions,

Crime prévu et puni par les articles 379, 381, 382, 383 du code pénal.

Fait au parquet de la cour de Limoges le 7 mai 1881

LE PROCUREUR GENERAL Pietty

Outre les gendarmes et le médecin, vingt des témoins interrogés au cours de l’instruction sont cités à la barre. Léonard Couade, assisté de m° Chaussade (descendant du juge seigneurial de Linards et ancien élu du canton) est reconnu coupable avec circonstances atténuantes et condamné à cinq ans de prison.

La presse rend compte du procès, en recopiant pratiquement l’acte d’accusation dans le cas du Courrier du Centre, longuement et de manière polémique dans la Gazette du Centre. La présence dans le prétoire des jeunes enfants de l’accusé avait en particulier fait sensation. (Cf. notre publication n°x, Faits divers et société à Linards au XIX° siècle).

 

 

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